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Égarés, oubliés Mérinos magistrat ou le mouton à cinq pattes

novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21

Homme de loi et humoriste, Eugène Mouton publie L’Invalide à la tête de bois en 1857, ce conte qui lui vaut une célébrité qui ne se dément pas. Portrait d’un égaré qui ne s’est jamais vraiment perdu.
Peut-on imaginer des mentalités plus différentes que celles du magistrat et de l’humoriste ? Ceux qui ont eu maille à partir avec la première de ces engeances savent que le législateur n’a jamais inscrit le droit à la vie drôle dans les pages du Code civil. Les magistrats sont faits pour veiller au grain, francs soutiens des vertus civiques et du bon père de famille. Quant aux humoristes, ce sont des subversifs qui pervertissent le système en ridiculisant édiles et concitoyens réguliers. Hormis un goût partagé pour les travestissements, on s’imposerait une méningite inutile à chercher des points communs. Un nom paraît unir les rigidités de l’institution judiciaire aux gracieux gondolements de la blague : Louis Pauwels, le Mac-Mahon du « SIDA mental », le général Boulanger de la saine jeunesse. Mais on m’assure ici que ces bons mots n’en sont pas et qu’il faut chercher autre chose.Heureusement notre Janus existe et les pages jaunies de l’histoire littéraire ont retenu son exemple, celui de l’union inégale de l’Humour et du Droit : il se nomme Pierre Martin Désiré Eugène Mouton. Ce monsieur est né le 12 avril 1823 à Marseille équipé d’un patronyme qui dut assombrir son enfance. Fils d’une Créole et d’un colonel - riante paternité -, il vit d’abord jusqu’à l’âge de dix ans à la Guadeloupe où son père remplit les fonctions de chef d’Etat-major, puis fait son droit à Paris. En 1848, il entre dans la magistrature et entame son tour de France du fonctionnaire plein d’avenir. Nommé successivement à Draguignan en 1848, à Chaumont, Rochefort, Fontenay-le-Comte, il obtient le grade de procureur impérial à Niort et atteint l’apogée de sa carrière à Rodez où il s’installe à partir de 1862. C’est là qu’il entame la rédaction d’une somme sur les Lois pénales de la France […] exposées dans leur ordre naturel avec leurs motifs (1868), matière d’une folle gaieté qui préfigure d’inquiétants opuscules comme Le Devoir de punir (1887). Alors, dira-t-on, et l’humoriste ?
L’humoriste Mouton se dévoile en 1867 lorsque son alter ego Mérinos signe dans les colonnes du Figaro du 5 avril 1857 son premier conte. C’est « L’Invalide à la tête de bois » qui propulse le magistrat sous les feux de la rampe : il vient de poser une pierre de touche de l’humour français. Son succès est tel qu’il démissionne en 1868 et s’installe à Paris où il fait profession d’écrire. Recueils de Zoologie morale, poèmes en proses, romans d’aventures maritimes et voyages fantaisistes à succès, l’homme de loi écrit une multitude des contes dont les héros ont pour nom Marius Cougourdan, Joël Kerbaby ou Lazare Pohan.Apparentée à l’inspiration non-sensique de Mark Twain, sa prose réjouit les surréalistes. Le personnage de l’invalide à la tête de bois - un soldat simple d’esprit précisément nommé Dubois se voit greffer un crâne de bois à la suite de plusieurs blessures de guerre - obtient un tel succès qu’il fait des émules. En 1898, Firmin Maillard emprunte à son titre de quoi moquer l’Académie française dans Le Salon de la vieille dame à la tête de bois, en 1911 Gabriel de Lautrec donne sa propre version du récit dans la collection populaire des éditions Pierre Lafitte. Passent la Seconde guerre mondiale et le structuralisme, la réussite du fantasque Mérinos ne se dément pas. Dans les années 1970, Jeanne Laffitte donne un reprint des Voyages et aventures du capitaine Marius Cougourdan (1974), la « Bibliothèque excentrique » (Marabout, 1975) et les « Classiques du rire et du sourire » (Garnier, 1978) publient deux anthologies à l’enseigne du même Invalide à la tête de bois. Cette année encore, la « Petite bibliothèque Ombres » produit sa sélection sous le titre charmant du Naufrage de l’aquarelliste (190 pages, 59 FF).
Malgré cette bibliographie digne d’un classique, la figure de Mérinos reste en demi-teinte. On sait qu’il fut un homme de taille médiocre, très mince, assez élégant. Comme son confrère Gabriel de Lautrec, il portait le monocle avec cette touche personnelle de longs favoris qui « lui donnaient bien l’air du plus grave des magistrats ». La remarque signale l’atrabilaire. D’ailleurs une édition du Jardin de feu établie par Jack l’Eventré (du Lérot, 1991, 37 pages, 60 FF) donne certains indices à ce sujet. Outre l’intérêt du récit truculent d’un bourgeois très à cheval sur la morale qui est pris de vertige sexuel à la vue des créatures appétissantes d’un bal public, cet opuscule joliment illustré cite le Journal des frères Goncourt : « Quelle tête a ce Mouton ! Quelle affreuse hideur à la fois de magistrat et d’employé des Pompes funèbres, et il se trouve même avoir une croix au ruban noir ! Est-ce bien la décoration de cette homme-corbeau ! » Le journaliste Gaston Bergeret ajoute en 1892, il avait « l’air chien […] et l’on imagine aisément les vilains quarts d’heure qu’il a du faire passer à ses accusés ». Avec ses airs de gai luron, Mouton se présente à l’Académie française en 1886 et en 1888, sans succès.Il ne manque pourtant pas de mérites. Précurseur en matière de bibliothéconomie par exemple. Avec la « bibliothèque aveyronnaise Mouton » lancée en janvier 1867 - une valise qui contient une trentaine de livres - il invente le bibliobus à propulsion pédestre. Le cas est si inattendu d’un procureur impérial favorisant le colportage qu’il lui vaut une médaille de bronze à l’exposition universelle. Et ce geste altruiste se double de la publication de L’Art d’écrire un livre, de l’imprimer et de le publier (1896) où l’auteur arrivé offre au débutant un vade-mecum plein d’espoir. Pierre Coutras s’en souviendra en rédigeant les Tribulations d’un jeune écrivain (1918).
A relire Mérinos qui disparaît en 1902, on constate que son style est parfois raboteux mais il conserve une richesse dans l’élucubration, un sens de l’extravagant plus drôle que les écrits de Pierre Mille qui faisait office de rigolo dans les années 1930. Pour choisir un exemple plus proche, Xavier Patier publiait au printemps dernier les désarmantes Trois minutes de soleil en plus (Table ronde, 144 pages, 89 FF). Ses chasses au député organisées par des hobereaux férus de cynégétique n’ont probablement fait rire qu’une paire d’académiciens. Leur humour s’est terni ou bien il nous rase. Celui de Mérinos tient son rang, inusable. Pour reprendre les mots de Gabriel de lautrec, humour et poésie sont fils de la même mère. Il est d’autant plus étonnant qu’un magistrat nous ait fendu d’un sourire… Ils sont si nombreux à nous tirer des larmes.

Mérinos magistrat ou le mouton à cinq pattes
Le Matricule des Anges n°21 , novembre 1997.