Jérôme Peignot a l’œil vif et bien entraîné. Pour cause, spécialiste de l’histoire de l’écriture, il subit la rare hérédité d’une famille de fondeur de caractères -l’entreprise Deberny-Peignot à laquelle collabora Balzac-, d’un père qui a introduit la photocomposition en France et dirigé les éditions des Arts et Métiers graphiques ainsi que celle d’une tante fameuse, Colette Peignot, sa « mère diagonale » que Georges Bataille et Michel Leiris prénommèrent Laure.
Ecrivain né en 1926, il est inscrit dans une double filiation. Celle des Papiers collés de Georges Perros auxquels renvoie son Puzzle, mais aussi celle, déterminante, de Langage tangage de Michel Leiris. La publication du Petit Peignot, un fascinant dictionnaire de « mots-images » et de Toutes les pommes se croquent, un divertissement typographique et romanesque donnent l’occasion de s’en convaincre. Jérôme Peignot y développe le genre poétique qu’il a révélé en 1993 dans l’anthologie Typoésie (Imprimerie nationale). Et voilà que ce que l’on croyait un jeu devient une nouvelle forme d’expression littéraire, une façon de traquer le sens du monde en observant la forme des mots.
Qu’est-ce que la typoésie ?
J’ai forgé ce mot à la manière des mots-valises de James Joyce. Il associe typographie à poésie et tourne autour de cette idée très simple qui me vient d’un ami marocain, le poète Abdelkebir Khatibi. Il me disait que dans le monde arabe l’écriture fait partie de ce qu’elle véhicule, ce dont témoignent les calligrammes. Je dirais moi signe-signifiant-signifié. Au fond, la typoésie est l’avatar moderne du calligramme.
L’équivalent existe-t-il dans le monde chrétien ?
On trouve les calligrammes de Raban Maur au IXe siècle. C’est une écriture à l’intérieur d’une autre. C’est le cas d’une série de calligrammes bâtis autour de la croix chrétienne où un texte est inscrit dans le texte principal et dessine, par exemple, l’auréole du christ. À la Renaissance, il y a Venence Fortunat, Alde Manuce qui a illustré Le Songe de Poliphile de Colonna d’admirables calligrammes.
Peut-on considérer les futuristes comme vos prédécesseurs ?
Surtout les constructivistes russes qui, comme El Lissitzky, ont voulu en 1917 élaborer une écriture qui soit à la fois révolutionnaire et adaptée aux évolutions technologiques de l’époque. Il leur fallait trouver une forme qui fut aussi révolutionnaire dans son aspect visuel. On cassait la ligne bourgeoise comme Tzara l’avait déjà fait. Il y a aussi bien sûr les calligrammes d’Apollinaire et Les Mots en liberté futuriste de Marinetti.
Dans Puzzle, vous écrivez « les images sont sous les mots ». Sous les pavés la plage ?
L’inventeur du socialisme, Pierre Leroux, était typographe et se trouve à l’origine des premiers syndicats. Plus récemment, en 1968, des jeunes gens allemands et brésiliens ont également voulu créer leur langage et ont inventé un mouvement poétique auquel je dois beaucoup. C’est la poésie...
Entretiens Les mots et les choses
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Éric Dussert
Dans sa typographie et ses fragments biographiques, Jérôme Peignot expose les mystères de l’écriture et le principe de sa fantaisie, la typoésie.
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