Après de nombreuses années passées à bourlinguer sur toutes les mers du monde et sous tous les pavillons de complaisance imaginables, Edoardo retourne dans son village natal de Ligurie où une femme espère son retour depuis si longtemps que cette attente en ressemble à « une vraie souffrance ».
Autant le préciser d’emblée, cette troisième traduction de Francesco Biamonti (L’Ange d’Avrigue et Vent largue ont respectivement paru chez Verdier en 1990 et 1993) tient plus du poème en prose que d’un âpre récit de marin. Les mots que trace l’auteur italien paraissent à tel point pétris des ombres et des lumières méditerranéennes que l’on se surprend, au détour de plus d’une page, à plisser les yeux comme sous l’effet de la réverbération. Écriture que l’on dirait « solaire » si un voile persistant de mélancolie n’en atténuait l’éclat, car ce récit est aussi une chronique du lent déclin d’un coin de péninsule tombé hors du temps, du moins celui que mesurent les eurocrates : « Il sortit du village sans regrets. Sur le chemin, les oliveraies abandonnées, les murets, leurs sinuosités, leurs brusques saillants, leurs contours imprévus. De tant d’antiquité, le ciel était comme rajeuni. »
Lorsque notre Ulysse moderne se voit confier une ultime mission -débarquer clandestinement des armes en Bosnie- le lecteur en vient à redouter que cette péripétie ne rompe le charme du livre. Craintes tôt dissipées puisque Francesco Biamonti poursuit dans le même registre et parvient à restituer tant la violence que l’épaisseur historique des conflits balkaniques (« Le temps pour ces peuples était un éternel présent… Les siècles se consumaient en un instant… ») sans jamais appuyer le trait, sans que ses métaphores ne dégénèrent en démonstrations didactiques : « Dans la ville où j’allais à l’école, dit la femme, on sonnait toutes les heures : l’heure catholique, l’heure slave, l’heure turque et l’heure de Jérusalem./ Et aujourd’hui ? » Plutôt qu’en toutes lettres, la réponse à cette dernière question se trouve inscrite entre les lignes du présent texte. Cette Attente sur la mer s’étire en un moment de grâce.
Attente sur la mer
Francesco Biamonti
Traduit de l’italien
par François Maspero
Seuil
144 pages, 120 FF
Domaine étranger Vagues à l’âme
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Eric Naulleau
Un livre
Vagues à l’âme
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.