Stationner, c’est s’arrêter peu, ça suppose que l’on reparte, comme des points balisent un trajet et s’effacent à mesure. Telle fut la vie de Dominique Labarrière, disparu en 1991 à quarante-trois ans. Il ne sortit pas de la rue des Trois-Bornes à Paris, entre le boulevard Voltaire et le rue de la Roquette, de la chambre d’hôtel où on le retrouva, lui qui jamais ne put se fixer, toujours jeté dans la rue à marcher, pour voir, se débarrasser de ce qui, à l’intérieur, hante, pour coller sa rétine aux lumières des feux et aux visages : « Je lève la tête : dos, je ne vois que des dos ; je m’efforce de les compter, de les classer, de les comparer./dos d’hommes./Dos de femmes./Quelques lourdes masses de cheveux qui tombent sur les épaules », disait-il dans La Pratique de l’émotion (Luneau-Ascot, 1984). Se jeter dehors, mais pour aller où, pour s’effondrer plus encore en face de quoi ? Dominique Labarrière le disait bien : il n’avait jamais cru qu’au « processus de démolition qui affecte tout ce qui est vivant », ajoutant même : cela « m’éblouit et m’aveugle dès que je porte mon regard vers quelques manifestations extérieures que ce soit ». Ses stations furent un étirement inqualifiable entre le poids qu’il y a à être soi et ce que l’on continue toujours à devenir dehors. Et cela, depuis son premier livre, Nostalgie du présent (Édition de l’Athanor, 1977), à Exploration de l’ombre (Unes, 1988), Romance sans lumière [éloge de Chet Baker], (Mai hors saison, 1991), jusqu’aux fragments de proses de La Discipline des apparences (Unes, 1992). Avec Stations avant l’oubli, qui paraît aujourd’hui, Labarrière se porte « au milieu d’un avenir gagné », et non « au milieu d’un passé perdu »(Bernard Noël). Dans une distance presque froide, dans des mots ramassés, des vers concis et tranchants, ce livre creuse, sans jamais lâcher ce qui revient à soi ou aux choses, une question, qui relance la marche : "Quoi encore porter/un seul geste porter et/perdre laissant derrière/toujours laissan
Sur D. Labarrière : le N° 19/20 de la revue Incendits préparé par Bruno Grégoire, 75 FF (4 villa Deroin, 93340 Le Raincy) et Mai hors saison N° 13, 70 FF.
Stations avant l’oubli
Dominique Labarrière
Mai hors saison (Guy Benoit - logt 1122 - 1 place de la résistance,
93170 Bagnolet)
35 pages, 50 FF
Poésie Face aux s tations
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Face aux s tations
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.