Proposer un recueil de trois pièces d’Audureau est une excellente idée. En effet, chaque texte de l’écrivain semble lié aux précédents. Hélène est, d’une certaine façon, la suite de Katherine Barker, avec plusieurs personnages récurrents, il est donc important de pouvoir les lire dans leur continuité. Ensuite, il faut s’immerger dans cette écriture si particulière pour s’en laisser pénétrer. La langue d’Audureau est en effet d’une rare fulgurance poétique, mais elle reste énigmatique, labyrinthique et parfois même déconcertante.
Ces trois pièces ont à chaque fois une femme comme figure majeure, toujours passionnément amoureuse, l’une quasi déesse, aux portes de la mort, La Lève, l’autre mère du crime « Ma » Kate Baker, la troisième, Hélène, fille d’un fleuve. Ces personnages ne sont ni réalistes, ni psychologiques mais plutôt cosmiques. Ils parlent aussi bien aux humains qu’aux oiseaux, aux étoiles, aux fleuves ou bien à la lune : « Jeune fille !! (il s’agit de la lune, ndlr)/j’ai défié une louve/et je vais en mourir ;/détourne-toi…/Détourne toi !…/Celui qui va me tuer/se cache dans l’ombre que tu laisses à ces jardins/ et il m’écoute…/Détourne toi, jeune fille,/bouge, glisse dans ta nuit d’avril/Ne me regarde pas mourir. » La typographie, que malheureusement nous ne pouvons pas retranscrire ici, rend l’écriture encore plus proche du poème.
Les personnages gardent leur mystère. Ainsi, le Nain Georges Ziegler est présenté comme suit : « Entre l’enfant et l’homme/ il y a Georges Ziegler/ qui selon les circonstances,/le jour,/la nuit,/l’heure,/va de l’un à l’autre/ pour prendre à chacun/ et sa grâce/ et sa force./ Mais dans ce va-et-vient de l’homme à l’enfant/ de l’enfant à l’homme/ on ne sait jamais le lieu où il s’arrête/ et malgré les apparences/ on ne sait pas qui est Georges Ziegler. » Alors le lecteur mène son enquête. Une multitude de pistes s’ouvre à lui, mythologiques, philosophiques, symboliques, fantastiques, oniriques. Il peut s’y perdre. Mais peut-être faut-il lire ces pièces de la même façon que les rêves nous visitent ? Et ne pas se laisser dérouter par le fait que certains personnages se promènent par exemple avec un puma domestiqué. La puissance de leurs rêves est d’ailleurs une caractéristique commune à nombre de personnages d’Audureau. Rien d’étonnant donc que les pulsions « noires » soient si souvent mises en œuvre. Comme le meurtre par exemple. D’ailleurs la première pièce de cet auteur, La Réception, n’a jamais été jouée pour la simple raison que l’un des acteurs devait réellement commettre un meurtre durant la représentation ! La mort est également omniprésente, la mort qui triomphe dans chacune des trois pièces.
« Mais qui définira aussi fidèlement que le fit le grand William Shakespeare, la vérité profonde que l’homme présente sous des oripeaux de langage. » Cette réplique d’un des personnages nous semble le mieux caractériser la recherche de l’écrivain : une réflexion sur la nature humaine par la transcription de la parole. Et en même temps, le livre se conclut sur cette réplique : « Tu voulais l’explication de tout/ tu ne l’auras pas puisque je meurs/ Autant que moi, Michael,/ tu seras seul dans le silence astral. »
Hélène / Katherine Barker / La Lève
Jean Audureau
Actes Sud-Papiers
366 pages, 140 FF
Théâtre Un homme seul dans le silence astral
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Laurence Cazaux
Actes Sud-Papiers nous offre l’occasion de redécouvrir Jean Audureau, souvent comparé à Claudel, et pour qui la poésie est à la base du théâtre.
Un livre
Un homme seul dans le silence astral
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.