Avec son Almanach perpétuel des Harpies, Gabrielle Wittkop renoue avec un genre séculaire. Ce livre, constitué d’un assortiment ludique de textes variés ponctué de dessins, est conçu pour que le lecteur y trouve le frisson ou le rire et pioche quand bon lui semble une image ou un texte, à sa faim.
Loin de se fondre totalement dans le genre « almanach », Gabrielle Wittkop évite ses écueils traditionnels telles que les « pronostications » astrologiques de mauvais aloi et les blagues à papa dont le Vermot vient définitivement de cesser la production. Plein de fantaisie, son ouvrage curieux ressemble à un petit livre-cadeau, voire un jeu dont l’espace serait celui des mythologies populaires.
Comme la vestale de dieux inamicaux, Gabrielle Wittkop s’est pliée à la fascination qu’exercent les harpies. Signalées par le Grec Hésiode dans sa Théogonie -Claude Terreaux en donne une nouvelle traduction (Arléa, 128 p, 95 F)- les trois harpies, filles d’Électre sont des monstres véloces. Mi-femme mi-rapace, elles sont les divinités ailées « à la belle chevelure [qui] d’une aile rapide, vont suivant les oiseaux et le souffle des vents ». Elles excellent dans le rapt d’enfant, crèvent les yeux de leurs victimes et les tuent.
Alternant les propos humoristiques, scientifiques et littéraires, Gabrielle Wittkop dépèce son riche sujet en naturaliste, en lexicographe et en conteuse. Elle détourne les formes écrites pour en faire les vecteurs de sa monomanie : limericks, contes, énigmes, nouvelle noire, poèmes rimés, notices techniques nous apprennent que la harpie est aussi un papillon, un cylindre denté en fonte dans l’industrie des pâtes alimentaires et un rapace sud-américain.
Toutefois, il reste que les cousines des furies infernales et des démons aériens épousent les contours d’un mirage changeant sans perdre leur soif de mordre : « Le passant solitaire qui se hâte les a quelquefois aperçues, immobiles, dessinées à l’encre sur l’hostie de la pleine lune. Malheur à lui si elles le découvrent. Elles le cernent de leur ronde, l’assourdissent de leur clâmeur et du battement de leurs vastes ailes. Le lendemain on ne retrouve plus que des toisons ensanglantées. »
Gabrielle Wittkop cultive son goût des ambiances étranges dont suintait déjà son premier récit le Nécrophile (Régine Desforges, 1972). Après plusieurs romans (Les Rajahs blancs, Hemlok), un essai (Grand-guignol) et une traduction (le Colporteur de Handke), elle offre aujourd’hui un livre plaisant qui échappe aux tentatives de classement.
Almanach perpétuel
des Harpies
Gabrielle Wittkop
l’Éther vague
80 pages, 80 FF
Domaine français Almanach fantastique
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Éric Dussert
Un livre
Almanach fantastique
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.