D’une technicité inhabituelle pour Vergílio Ferreira, Rêve d’ombre, écrit en 1973, peut par moments dérouter le lecteur. Monologue intérieur d’un écrivain d’une cinquantaine d’années qui, persuadé que sa femme l’a quitté, se laisse envahir par le sentiment d’avoir échoué, ce roman est comme une version tendue d’Apparitions (Métailié, 1990). Sa célèbre première phrase : « Je m’asseois ici dans cette salle vide, et je me souviens », pourrait « lancer » Rêve d’ombre. Seul le rayon de soleil qui balaie les livres et les photos d’une vie que contient la bibliothèque permet de sentir que le temps passe. Jusqu’au moment où la nuit tombe. Une heure ou deux, peut-être plus, se seront écoulées pendant lesquelles instants de pleine lucidité et explosions poétiques auront alterné.
Rêve d’ombre, comme Au Nom de la terre (Gallimard, 1992) est une méditation sur la vieillesse et sur la mort, sur leur impossible et violent refus : « Pour la première fois de ma vie, la honte d’un corps corruptible, ma dégradation. Dégoût de moi-même dans le regard avec lequel je me vois être un autre en train de pourrir ». A ce dégoût de soi vient s’ajouter une autre souffrance -mais n’est-ce pas elle qui l’a provoquée ?- Neves vit comme une humiliation le mépris d’une jeune femme qui lui « plaisait parce qu’elle était jeune et (que) cela est beau en soi, parce qu’être jeune c’est être dans la vie et l’amour est le maximum de la vie ». Ivre d’angoisse et de whisky, définitivement blessé par ce mépris et littéralement fou de désir - « La pourriture t’attend aussi, mais tu ne peux pas le savoir, c’est une science du crépuscule, tu vibres dans l’énergie féroce de ta splendeur » - Neves tentera de contenir ses obsessions dans un nouveau livre.
Roman-boucle, Rêve d’ombre est écriture de l’échec, non pas pour le transcender mais pour en nourrir, comme s’il était sa substance, la littérature.
Rêve d’ombre
Vergílio Ferreira
traduit du portugais
par Anne Viennot
Le Passeur
220 pages, 126 FF
Domaine étranger Une science du crépuscule
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Christophe David
Un livre
Une science du crépuscule
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°13
, septembre 1995.