Nombre d’auteurs français semblent vouloir croire que les albums de famille suffisent désormais à alimenter leur œuvre. Soit. Ils se tiennent dans l’anti-chambre de leur production littéraire, une photographie jaunie entre leurs mains et s’exclament soudain, avant de se précipiter sur une feuille blanche : « Mais au fait, qui était-il vraiment, lui ? »
Lui, c’est presque toujours le père, mais lorsque le père ne présente aucun intérêt véritable -nous dirons, par exemple, qu’il n’est pas encore mort-, nous poussons plus loin la rangaine familiale pour nous découvrir, ô génie des familles ! un singulier grand-père.
C’est ce que nous propose Gérard Bourgadier dans Monsieur le greffier, n’échappant pas, hélas, à cette ronde d’écrivains mal grandis, poursuivant sans relâche une quête narcissique et qui, à défaut de se pencher sur le vide qu’ils incarnent, s’en vont trouver ailleurs, ou croient trouver du moins, l’alchimie qui leur rendra enfin leur véritable place dans le monde.
En effet, le narrateur de Monsieur le greffier, obsédé par l’énigme que représente le grand-père qu’il n’a jamais connu, vient passer quelques heures dans la petite ville de Mézière, fief de plusieurs générations de Béranger. Ses déambulations dans les rues jadis familières, prétexte à d’intarissables digressions et supputations quant à la vie dudit grand-père et autres parents, le menant du cimetière à l’ancienne demeure familiale, en passant par le service de l’état civil de la mairie, n’apporteront finalement aucun réponse aux questions qu’il se pose. Nous n’en saurons pas davantage sur ce grand-père fantôme, mais on nous livrera maintes anecdotes ou fictions, parfois maladroites, sur le reste de la famille. Il faut bien que tous les clichés soigneusement consignés dans l’album grand-ouvert servent à quelque chose…
Que ce roman soit purement imaginaire ou totalement imprégné d’éléments autobiographiques, le résultat reste le même : c’est un livre de plus dans le très banal charnier familial, ni mieux écrit ni plus attachant que les autres. Et le processus en devient même agaçant : car enfin, quel plaisir trouve-t-on à célébrer sans cesse le culte des morts sans prendre conscience de l’importance de ceux qui sont encore en vie ?
Quelle énergie dépense-t-on à s’inventer le souvenir du passé, lorsqu’on a toute une vie devant soi pour s’en fabriquer un ? Dans quel intérêt ferme-t-on les yeux sur ce qui se passe ici et maintenant et magnifie-t-on un passé, même familal, dont on sait bien que les leçons ne servent jamais ?
Cependant Bourgadier réussit quelques belles pages dès lors que le narrateur cesse de se prendre pour le dernier des Mohicans et qu’il abandonne son miroir aux mains de Narcisse pour laisser vivre ses chers disparus.
« Lui, pendant ce temps, filait dans les collines lire des poésies, regarder d’en haut le mauve s’installer sur les montagnes avec, au loin, le soleil déclinant sur des terrasses où de grands draps tendus étaient mis à sécher. Il écoutait les rumeurs, les chants des muezzins monter comme des flèches, des raids d’oiseaux saisis de mysticisme. »
Que dire de plus, si ce n’est que Monsieur le greffier n’avait de toute façon rien d’une aventure périlleuse et ne pouvait donc remporter de victoires conséquentes sur le monde des vivants.
M.M.
Monsieur le greffier
Gérard Bourgadier
Climats
129 pages, 85 FF
Domaine français Le jeu de famille
avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8
| par
Muriel Mandine
Gérard Bourgadier, directeur des éditions L’Arpenteur, sort son premier roman qui n’échappe pas à la mode bien française de la quête familiale.
Un livre
Le jeu de famille
Par
Muriel Mandine
Le Matricule des Anges n°8
, avril 1994.