Moi aussi j’aimerais être footballeuse, et noire. Parce que si j’étais noire (…) je leur brandirais mon poing sous le nez et je leur dirais à tous : go tou di hell you madefakeur. » Željka Horvat Čeč manie l’humour noir. En chapitres courts, avec la simplicité d’un langage enfantin recréé, elle évoque sa vie, dans un village du nord de la Croatie, quand son pays était en guerre, entre 1991 et 1995. Le maître d’école explique aux enfants combien il est beau de donner sa vie pour sa patrie, et qu’en plus, on va au paradis. La petite Željka n’est pas enchantée. « Est-ce que les Serbes aussi apprennent à l’école qu’il faut mourir pour la patrie, et est-ce que, du coup, on va au même paradis ? Ou séparément pour que ça ne soit pas la guerre au paradis aussi ? »
Comme l’indique le titre, il n’y a pas de cochon au menu. Mais du chevreuil, produit de la chasse, dépecé, « les chasseurs disent déshabillé. » Comme les enfants s’habillent et se déshabillent. « J’ai l’image de ce que ça serait si on nous déshabillait de notre peau. (…) Est-ce qu’ils nous garderaient pour le bograč, ou est-ce qu’ils nous mettraient dans la soupe comme le faisan ? » La violence ambiante et la guerre sourdent sous les jeux d’enfants.
Le livre est illustré de documents, pages de cahiers d’écolière, chansons patriotiques avec majuscules calligraphiées soigneusement. C’est touchant, on devine qu’il s’agit des vrais cahiers de l’autrice. « Le village où nous vivons n’a pas de vraie guerre. (…) Il n’y a pas eu de morts dans la rue, dans la rivière ou dans les champs. On n’a pas dû enterrer nos proches tués par des grenades comme les gens à la télé. » On retrouve la violence dans ses dessins, comme cet homme à deux têtes, blessé partout, qui saigne, il lui manque un bras, une jambe. Il a une tête de Croate chrétien et l’autre de Bosniaque musulman. À côté de lui, un autre personnage porte une hache et dit « les imbéciles, si j’arrive à les séparer, alors ils sont morts tous les deux ».
Anne Kiesel
Scènes villageoises sans cochon,
de Željka Horvat Čeč
Traduit du croate par Chloé Billon
La Peuplade, 200 pages, 20 €
Domaine étranger L’enfant et la guerre
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Anne Kiesel
Un livre
L’enfant et la guerre
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.