À quoi reconnaît-on qu’un écrivain contemporain devient un classique ? À la parution d’inédits, de nouvelles traductions, à la réédition d’un même livre sous un autre titre : ainsi d’Aventures d’Italo Calvino récemment recyclé par Folio à trois mots près sous son titre original Les Amours difficiles (Gli amori difficili).
S’agissant de Calvino, ces événements éditoriaux à l’occasion du centenaire de sa naissance le confirment comme un « écrivain populaire » en France. Son œuvre de fiction comprend même des livres pour le rayon « Jeunesse » : les Contes italiens, Romarine, ou Forêt, racine, labyrinthe, à lire aux enfants. Calvino ? Un écrivain réputé transparent. Ses essais Pourquoi lire les classiques et les Leçons américaines sont également souvent cités. « Les classiques sont ces livres dont on entend toujours dire : Je suis en train de le relire… et jamais : Je suis en train de le lire. » Mais l’université française le boude, là où les bibliographies italiennes et de langue anglaise foisonnent. Chez nous, aucune biographie conséquente de Calvino. En somme, nous le méconnaissons. Au siècle dernier nous l’avons lu mais en myopes ou en somnambules. La trilogie Nos ancêtres, parue en Italie en 1960, aura été en France dispersée en trois livres indépendants, Le Vicomte pourfendu, Le Baron perché, Le Chevalier inexistant. En 1984, la critique s’enflamme pour La Machine littérature (Seuil) : un livre tronqué, dérangé dans son ordre, et dont le titre n’est pas de Calvino. Il faudra attendre 2021 pour que Gallimard livre l’original, Tourner la page. Si bien que la réception sérieuse de Calvino en France ne date que d’hier : désencombrée de son édition fatrassière, contextualisée, et attentive à ce qu’en dit l’auteur lui-même. Aussi, la Correspondance et le recueil Liguries qui paraissent cet automne viennent assurément combler un manque, à commencer par celui de la connaissance du Calvino intime, et dans sa chronologie. La Ligurie ? Une région qui elle aussi nous est mal connue bien qu’elle nous soit mitoyenne. Celle de Calvino – sur la carte le coin inférieur gauche de la province d’Imperia – est sa partie extrême-occidentale qui jouxte la France. De chaque côté de la frontière, on y est aux confins, ce qui déjà pourrait fournir une indication pour Calvino, le frontalier.
Au reste, sa période cruciale « dans le coin le plus périphérique de l’échiquier de la Résistance italienne » (« Autobiographie politique de jeunesse », dans Ermite à Paris), qui le réveille de son adolescence insouciante, le voit combattre dans un secteur où la frontière entre l’Italie et la France sera modifiée en 1947 : de Gaulle annexe le haut et le bas de la vallée de la Roya (Vae victis, un épisode absent de nos manuels d’Histoire), et ces villages de la Ligurie italienne qu’étaient Tenda, San Dalmazzo de Tenda, Briga, deviennent « Tende », « Saint Dalmas de Tende », « La Brigue ». De même que non loin de Vintimille, Libri et Piena sont rebaptisés « Libre » et...
Dossier
Italo Calvino
L’arpenteur de frontières
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Jérôme Delclos
Maîtrisant tous les genres et déplaçant leurs limites, Italo Calvino (1923-1985) lègue une œuvre toujours en mouvement. Mais non sans constance et fidélité à soi.
Un auteur