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Domaine français Kapital de la douleur

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Etienne Leterrier-Grimal

Ample roman polyphonique, P.R.O.T.O.C.O.L. traduit les doutes qui traversent nos démocraties, et imagine des contre-offensives pas si désirables.

Avec sa livrée rouge vif, arborant sur la couverture un Karl Marx pointant l’index sur le lecteur comme pour lui adresser le « I need you » d’une révolution à venir : P.R.O.T.O.C.O.L. de Stéphane Vanderhaeghe s’affiche avec près de 600 pages en ambitieux pavé lancé dans la vitrine.
Émargeant à la catégorie des dystopies, le roman reflète une époque encore pas si lointaine où chaque samedi voyait s’affronter dans la rue un peuple revendicatif et des forces de l’ordre lâchées en meute. Où il fallait présenter un certificat sanitaire pour pouvoir vivre. Dans P.R.O.T.O.C.O.L. c’est une société craintive et sans boussole qui est dépeinte, une démocratie agonisante, minée par la peur de l’autre et le terrorisme, résignée aux dérives brutales d’un état policier, aux caméras omniprésentes, à la propagande officielle et aux restrictions des libertés publiques… Pendant ce temps, huit lettres couvrent les murs de la ville : P.R.O.T.O.C.O.L. … énigmatique sigle de reconnaissance d’une révolution au long cours, dont le roman, jusqu’au bout, distillera l’incertaine interprétation : « Principes en vue d’une Révolution Organique et Totale Œuvrant pour la Convergence Opérationnelle des Luttes »  ?
Ces huit initiales définissent aussi un protocole d’écriture. En effet, ce roman polyphonique entrecroise les existences d’une poignée de personnages de dominés, dont chacun est l’initiale d’un récit interne. Parmi eux, Katya la prostituée au grand cœur, Mél la clocharde picaresque et son Dédé, Rrezon, le migrant devenu prolétaire de la livraison à domicile, J-C, le cadre d’entreprise poussé au désespoir, Re:Al qui « décore la nuit » à la bombe de peinture avec ses détournements graphiques pour faire dérailler le système. Et, parmi bien d’autres encore, Raton : rongeur intrépide, symbole de l’époque et « petit baron capitaliste aux tendances cannibales », mascotte d’un roman où l’homme est devenu un rat pour l’homme.
L’ambition kaléidoscopique de cette construction rappelle parfois les grands romans du dix-neuvième et leur ambition de saisir le fourmillement des bas-fonds du social. Dumas, dans l’imaginaire du complot contre l’ordre établi, Hugo dans la compassion, ou encore Eugène Sue, dans le pittoresque du peuple et d’une parlure réinventée pour faire causer tous ces dominés. Roman actuel pourtant, polyphonique, visuel aussi (et peut-être même théâtral), P.R.O.T.O.C.O.L. cherche à saisir différents modes de figuration du contemporain : les noms de marque qui viennent parasiter le texte, dénonçant une novlangue partout prête à triompher, l’enregistrement vidéo lancinant d’une silhouette dans le métro d’un homme encapuchonné, prêt à commettre l’irréparable. L’interrogatoire musclé que des membres de P.R.O.T.O.C.O.L font subir à un prisonnier. « Car il faut prendre le système à son propre piège c’est la raison pour laquelle depuis toutes ces années nous parlons de protocole c’est la clé le protocole à suivre à exécuter et vous maintenant vous faites partie de ce protocole, vous y avez été dès le départ intégré (…) les ingénieurs de la révolution qui depuis des années opèrent dans l’ombre ont patiemment choisi leurs soldats ». Mais toute révolution ne risque-t-elle pas d’être germe, à son tour, de tyrannie ?
Parce qu’elle retrouve surtout bon nombre d’analyses bien répertoriées, cette satire d’un système capitaliste, de sa marchandisation du monde, de son ordre politique de domination élitaire parvient à séduire tout en laissant aussi parfois sur sa faim. Elle porte sur la société un regard qui est moins une vision romanesque singulière dans sa force, qu’un grand répertoire de l’imaginaire socio-politique hostile au système des années 2017-2022. Si sa polyphonie de construction finit aussi par être mise au défi par le volume du roman, P.R.O.T.O.C.O.L. offre surtout le spectacle d’une époque comme dictature soft, traversée d’un complotisme insurrectionnel latent auquel on choisira de souscrire… ou non.

Étienne Leterrier-Grimal

P.R.O.T.O.C.O.L.
Stéphane Vanderhaeghe
Quidam, 561 pages, 25

Kapital de la douleur Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
LMDA papier n°234
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