Un livre

Johanne

de Marc Graciano

Editions Tripode

Un dossier

Marc Graciano, le feu sacré

• Présentation Des paysages habités
• Bibliographie Bibliographie
• Entretien Une langue vieille et toujours neuve
• Papier critique L’art de décrire

L’année 2022 commence bien pour Marc Graciano, avec la publication successive de deux livres. Johanne, qui marque son arrivée aux éditions du Tripode après six livres chez Corti, est à la fois son projet romanesque le plus ambitieux depuis l’inaugural Liberté dans la montagne et une tentative réussie d’écrire sur un personnage réel à un moment précis de sa vie. L’exercice était périlleux, car si Jeanne d’Arc est entourée d’une mythologie suffisamment forte pour permettre une réappropriation poétique de son personnage, elle n’en est pas moins porteuse d’une imagerie figée qui pourrait se révéler encombrante.
Mais Graciano ne se laisse pas impressionner, il n’en est pas à son coup d’essai. Il fait de la Pucelle d’Orléans un personnage au service de son univers plutôt que de mettre son univers au service des passages obligés du mythe. Sa Johanne ressemble beaucoup aux héroïnes anonymes de ses précédents livres. Elle est à la fois farouche et fragile, volontaire et délicate. Surtout, car il ne saurait en être autrement dans un livre de Graciano, elle se déplace. D’où le choix d’un épisode précis de sa vie, clairement délimité dans le temps : celui du trajet de la petite troupe qu’elle dirige, depuis son village natal jusqu’à Chinon. 500 kilomètres à travers la France pour aller porter son message au Dauphin.
Ainsi, c’est la première fois que l’on lira une date dans un livre de Graciano : « Nous partîmes au soir du vingt-trois février de l’an mille quatre cent vingt-neuf, jour de la Saint-Lazare, qui fut l’homme que Jésus ressuscita dans la banlieue de Béthanie, dans le pays de Judée, ce qui nous parut à tous un excellent pressage pour l’aventure qui nous émouvait ». La référence à un saint n’est pas ornementale. Avant le départ, le livre s’ouvre sur un époustouflant premier chapitre qui revient sur l’enfance de Jeanne d’Arc, durant lequel un personnage mystérieux, « un homme tant grand et tant large qu’il semblait un colosse aux enfants », en visite dans la maisonnée, se lance dans un discours fleuve et enfiévré où les saints et les martyrs défilent, « mêmement » que les animaux, dans une sorte de syncrétisme éminemment pieux et éminemment païen qui fascine Jeannette. Dans cette longue phrase de 70 pages, toute la virtuosité stylistique de Graciano est à l’œuvre : s’il décrit en temps réel une soirée d’hiver « bien au chaud entre les quatre murs blancs de la salle éclairés par la lumière de la lampe posée au centre de la mense », il n’en fait pas moins de multiples allers-retours entre passé et présent, réussissant ainsi d’emblée un portrait kaléidoscopique de son héroïne.
Dans les douze chapitres suivants, composés comme autant de tableaux d’un retable épique et intimiste, entre épisodes tragiques (un massacre dans une ferme) et naturalistes (des étangs que l’on parcourt en détail), Jeanne connaît le doute et la certitude, rencontre des personnages affûés et marginaux qui ne sont pas toujours persuadés du bien-fondé de sa...