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Histoire littéraire Dans un alphabet vociférant

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Richard Blin

Écrivain baroque à la spontanéité déflagrante, à la prose aussi somptueuse que capricante, Charles-Albert Cingria avait un sens inné de l’illumination continuelle. Un livre-album lui rend magnifiquement hommage.

Cingria. L’extincteur et l’incendiaire

Que reste-t-il d’une vie ? Quelques traces, des objets, les fétiches d’une présence. Mais ce « presque rien » peut constituer le sésame ouvrant à la vérité intime de cette vie. C’est exactement ce que nous propose L’Extincteur et l’Incendiaire, un livre-album où Charles-Albert Cingria (1883-1954) prend corps et existence au cœur du paysage culturel qui fut le sien. Couronnant la publication des Œuvres complètes (à L’Âge d’homme), il permet de mieux connaître un auteur dont l’œuvre échappe à toute intention de classement tant elle est somptueusement unique et inattendue en toutes choses.
Rythmé par les couleurs fétiches de Cingria – le « violet violent », le « jaune comme miel de dattes », le « rouge d’un écarlate royal », « lopulent vert » – et se modulant autour de six thèmes introduisant le lecteur à la biographie et au contenu de l’Œuvre – Venir au monde. Voir le monde. Dire le monde. Évoluer dans le monde. Constituer un monde. Déchiffrer le monde –, le livre s’organise à partir de la personnalité iconographique de Cingria, de son physique atypique qui fut dessiné, peint, photographié (Géa Augsbourg, Dubuffet, Modigliani, René Auberjonois…), et de tout ce qui peut montrer les différents aspects de cet homme tout en contrastes, excessif et modeste, marginal et estimé, extravagant et apprécié, un peu à l’image de ses manuscrits où ratures, rajouts, doubles soulignements, triples points d’exclamation, dessins, schémas le disputent aux découpages et aux collages.
Né en 1883 dans une famille de récente bourgeoisie genevoise arrivée de Raguse (Dubrovnik), et en deçà, de Constantinople – « Je suis Constantinopolitain-latin, et ma mère est polonaise » – Cingria a une sœur cadette, Anne, et un frère aîné, Alexandre, qui fera une carrière de peintre. Après avoir fréquenté plusieurs établissements d’enseignement sans achever aucune formation mais tout en étudiant le piano, l’orgue et la composition, il choisira la littérature et Paris comme port d’attache, tout en voyageant beaucoup, en Espagne, à Constantinople, en Afrique du Nord, en Italie – où, accusé d’attouchements sur de jeunes garçons, il fera trois mois de prison. Rétif à toute activité stable hormis l’écriture, il bénéficiera un temps de rentes mensuelles dues à des héritages avant de voir sa vie osciller entre la gêne et la pauvreté chronique.
De ses pérégrinations, en train ou avec sa bicyclette à guidon de course – «  L’excès de sédentarité amoindrit l’être et éloigne les extases. » –, il fit la source d’une écriture de l’instant vécu, de l’événement – « Il y en a incessamment, et c’est cela qui rend la vie si passionnante. » – et d’un art de la chronique inspirée d’un quotidien considéré d’un œil toujours neuf et libre redonnant le monde « dans son idiotie primitive et hallucinée », comme l’écrit Valère Novarina dans sa préface. Des textes au genre unique et indéfinissable, mobiles, fluides, tout en justesse et fantaisie où la prose se fait tour à tour agile et paresseuse, exquise et véhémente. Chargée d’épithètes en grappes, de génitifs en cascades, la langue crépite, le texte palpite, se perd en détours déconcertants ou se ramasse en raccourcis soudains. Un style que Jacques Réda, dans Le Bitume est exquis (Fata Morgana, 1984) compare à « un éclair en boule se prélassant, puis fonçant droit ou en zigzags et par détours à travers le vieux mobilier de la syntaxe qu’il culbute. » Des chroniques qu’il livre à la consommation immédiate en les éparpillant dans des dizaines de revues, des plus confidentielles aux plus réputées, comme la NRF où il animera « L’Air du mois » entre 1934 et 1939.
Traité en égal par les plus grands, Claudel – « Vous êtes un de ces hommes qui dégagent de l’électricité et qui d’emblée contractent une alliance brusque avec ce que notre propre outillage nerveux a de plus essentiel » – Max Jacob, Ramuz, Cocteau, Paulhan, il n’en restera pas moins réfractaire à tout embrigadement, ne se passionnant que pour l’art des troubadours, le plain-chant, la question du rythme et les systèmes de notation musicale médiévaux. Un intérêt et une érudition qu’il manifestera à travers trois livres : De la Civilisation de Saint-Gall, La Reine Berthe et sa famille, Pétrarque. Mariant posture érudite, art de l’immédiat et sens de l’improvisation, son œuvre ruisselle de gratitude envers la vie. Et l’un des grands mérites de L’Extincteur et l’Incendiaire est de le donner à voir et à ressentir.

Richard Blin

Cingria. L’Extincteur et l’Incendiaire
Album conçu par Océane Guillemin
Avec la collaboration d’Alice Bottarelli
Sous la direction de Daniel Magetti
La Baconnière, 184 pages, 27,50

Dans un alphabet vociférant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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