Marie-Hélène Lafon, Cantal cantate
Ça commence par le toucher, de petits pieds nus sur un parquet à l’aube, mi-joie mi-aguets, puis il y a les odeurs. C’est à Chanterelle, c’est une épiphanie et une chute. C’est un roman plus fragmenté que les autres. La narration oscille entre deux bords du siècle, un jour de printemps 1908 - un jour de printemps 2008, va et vient entre les deux en désordre, et à l’appui de plusieurs pays, du Cantal à Paris, du Canada au Cantal. Après l’aube inaugurale, on découvre – ou plutôt on devine – plusieurs fils, Paul et Georges mais Armand, André puis Antoine, presque tous en délicatesse avec les pères, et chacun pris par un destin singulier-collectif. Histoire du fils appartient à la lignée des récits picturaux de Marie-Hélène Lafon ; comme dans Les Pays, des fragments font image, tentent de retenir la trace vive, d’un éblouissement ou d’une fracture, et c’est au lecteur de les accorder.
Au royaume blessé des fils donc, il y a celui doué « de se sentir partout à sa place, légitimé et désiré, ven(ant) de là, de Chanterelle, du nom, de la mère, de la maison, des terres, de l’air cru. », jouisseur futur mais piétinant au pensionnat, trop jeune pour avoir été un héros des tranchées, trop installé pour avoir eu le courage de s’opposer sous l’Occupation. Il y a celui dont les ratons laveurs viennent « mord(re) le cœur », partagé entre trois pères, le premier inconnu, le deuxième offert, le troisième rencontré – et Gabrielle, génitrice au rire « pointu ». Il y a celui qui débarque et qui découvre, presque neuf de se savoir non plus seulement lointain, mais ancien, recommencé. Finalement enraciné.
On est en terrain connu, certes, avec les héritiers d’À la providence, Maison Lachalme & Fils, et ceux de l’autre magasin, dans l’autre pays : on sort des paysans, on élargit la famille entamée par les premiers romans, Le Soir du chien et Les Derniers Indiens, on n’en finit pas d’être les derniers, on essaime quand même, aîné, puîné, petit-neveu on continue. On est en terre de prédilection Lafon, mais un peu à côté : un côté plus cossu, et un côté chiche mais douillet. Et puis, contrairement à nombre de leurs prédécesseurs de fiction, les personnages d’Histoire du fils sont très peu au travail, éloignés de la geste agricole et de ses impératifs : on les observe plutôt occupés à aimer ou à être aimés. À sentir. À se recueillir. La solitude est tapie dans chacune de leurs vies et pourtant domine à la lecture le sentiment très doux d’une consolation et de corps glorieux, de la permanence et du partage. C’est que pour dire la sensation d’être et d’avoir vécu, l’auteure peaufine, de plus en plus limpide et sensuelle de livre en livre, cette mêlée des temps faite d’imparfait (vernis des photos de jadis, des anecdotes ressassées) et de présent, présent d’éternité qui fait parfois penser aux souvenirs d’Annie Ernaux, et imprime notre paysage intérieur : « Il a dix ans et c’est l’été pour toujours. »
C.B.
Histoire du fils JbrJ...