La vie de Micah Mortimer est faite d’une multitude de petits riens, mais c’est une routine très précise et orchestrée. Il dirige seul son entreprise d’informatique – parce que « l’informatique c’était oui ou non, noir ou blanc, aussi logique et ordonné qu’un jeu de dominos » –, et sort courir à l’aube quand les rues de Baltimore sont vides. On comprend rapidement que l’impact d’un virus planétaire lui échapperait, et que le silence continu du monde ne serait qu’un prétexte de plus pour vaquer à de nouvelles « occupations » : passer l’aspirateur, jouer plus souvent à Spider Solitaire. Micah se croit heureux… Mais, sourd aux appels à une vie commune que lui lance Cass, elle le quitte. Et voilà Brink, le fils d’un ancien flirt, qui débarque. Plus la vie chronométrée de Micah se déplie, sous la plume pointilleuse d’Anne Tyler, plus la tension monte : où va tout cet édifice ? Micah, prompt à critiquer les autres, empreint d’un machisme ordinaire – ce qu’il aime chez Cass, c’est son air « de mère de famille respectable » – est pris en étau : l’indépendance et la solitude, ou la sécurité, le couple – « une complication » –, la famille… ? Il faudra attendre l’incroyable scène de repas familial qui se déroule dans un chaos monumental, pour saisir les rouages qui régissent l’univers de Micah.
Aussi douée à nous faire toucher le vide qu’à nous ensevelir sous le trop-plein, Anne Tyler dresse un portrait subtil de la famille américaine. Celle que John Updike décrivait comme « méchamment bonne », et dont il louait la « merveilleuse perversité » a fait de la middle class et de son quotidien, le centre de ses romans. Anne Tyler est une immense romancière, par son œuvre – dont un prix Pulitzer pour Leçons de conduite – et par son regard tendre mais sans concession sur l’American way of life. Ainsi Ada, une de sœurs de Micah, qui tout en servant le dessert au milieu des cris des enfants, délivre sa vision découragée de l’existence : « d’autres en déduisent que, bon, visiblement, la vie est une vraie pagaille, c’est comme ça ».
Virginie Mailles Viard
Un garçon sur le pas de la porte, d’Anne Tyler
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas,
Phébus, 170 pages, 18 €
Domaine français Un garçon sur le pas de la porte
juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°215
, juillet 2020.