Du constat qui lui sert de titre, ce livre propose une démonstration aussi imparable que grinçante. Augustin Mal, donc, n’est pas un assassin ; la preuve, ce n’est pas lui qui a zigouillé le caniche du voisin, et ce n’est pas la mort qu’il fera subir à Gigi, la femme convoitée. Augustin ne va pas si mal donc même s’il se souhaiterait plus mâle. Augustin serait presque bien sous tous rapports. Écoutons-le plastronner à l’aube de son monologue : « Moi, j’aime la familiarité. Surtout la mienne car elle est sans vulgarité. Cela tient peut-être au fait que je suis très propre. » Il ressemble à ce voisin un peu collant à qui la distanciation sociale ne dit rien, à ce toqué toujours prompt à identifier les tares des autres, à quelque élucubrateur du dimanche ; bref, il ne doute de rien. Le lecteur, lui, se demande assez vite s’il faut prendre les maux qu’il devine au sérieux : une fixette étrange sur les dents, un imaginaire porté sur l’animal (du caniche à la truie en passant par l’incongru dauphin), des « ombres de ressentiment » envers la gent féminine.
Le quatrième roman de Julie Douard se lit d’une traite, du rire à l’effroi. Comme dans ses précédents récits, cette professeure de philosophie manipule euphémismes et assertions bien articulées pour décrire une réalité rien moins que sordide. L’éloge de la promiscuité à la piscine (ô les piscines !) nous fait rire en plein métro, tandis qu’une scène de lecture de roman Harlequin atteint le summum du glauque. Julie Douard met en scène avec une efficacité certaine l’engrenage du déni et les distorsions possibles du réel chez une conscience livrée à elle-même. Le portrait qu’elle dresse est celui d’un homme inadapté mais touchant, perdu mais terrifiant, qui pourrait être n’importe qui mais fait n’importe quoi, un homme qui ne se reconnaîtrait pas du tout dans les accusations imprimées qui fleurissent sur nos murs, et pourtant.
Chloé Brendlé
Augustin Mal n’est pas un assassin de Julie Douard
P.O.L, 102 pages, 13,50 €
Domaine français Augustin Mal n’est pas un assassin
juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°214
, juin 2020.