Un livre

Une histoire de France

de Joffrine Donnadieu

Editions Gallimard

Lorraine, fin des années 1990. Romy, 9 ans, est abusée pour la première fois par France, une voisine et amie de la famille. Privée de ses repères quotidiens (sa mère est longuement hospitalisée, son père, un éternel absent, appartient corps et âme à la base militaire de Toul), la petite fille noue une étrange histoire d’amour avec cette femme qui l’habille comme une poupée, lui prête son rouge à lèvres et l’embrasse sur la bouche en lui murmurant des mots doux. À Toul, où « rien ne change, rien ne bouge, (où) l’inertie l’emporte toujours sur le mouvement », France est un idéal féminin, mi-amante, mi-maman, une sirène dont les cheveux flottent comme des algues dans l’eau du bain, une idole en simili-léopard et talons aiguilles, un mirage parfumé dans la grisaille opaque des cités ouvrières. L’histoire de France, c’est celle du combat que Romy va mener dix ans durant contre la loi du silence, contre l’ambiguïté des souvenirs, la lâcheté des adultes et, surtout, contre un corps qui ne lui appartient plus et qu’elle cherche à se réapproprier par tous les moyens, y compris les plus cruels.
Violent, ce premier roman articulé en trois segments (« Le chemin des Dames », « 14-18 » et « Gueule cassée ») l’est autant par sa structure qui file de bout en bout la métaphore guerrière que par son approche extrêmement fine de l’abus sexuel répété et de ses répercussions dramatiques sur la construction de soi. La crudité des scènes d’attouchements est mise en relief, jusqu’aux limites du supportable, par la candeur de la fillette, candeur que Romy, devenue adolescente, retournera comme un gant, tentant de recouvrir la souillure initiale sous un crescendo d’outrages qu’elle s’inflige à elle-même (anorexie, errance, prostitution). Une thérapeutique par défaut, conditionnée par l’omerta générale et par la culpabilité, dans l’attente de la seule véritable délivrance : celle de la parole.
Avec une grande habileté technique, et sans faire de compromis avec la vérité, Joffrine Donnadieu livre un premier roman de la douleur, difficile, mais d’une nécessité absolue. Camille Decisier

Gallimard, 268 pages, 19,50 €