La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Même les pauvres peuvent écrire

mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191 | par Camille Decisier

Si l’écriture n’abolit pas la misère, du moins peut-elle faire sauter les barrières de l’enclos social. Un roman brutal et poétique de Stéphanie Chaillou.

Le Bruit du monde s’ouvre sur une définition très personnelle, quoique fidèle au sens étymologique, du mot « pauvre » : « Le pauvre, un petit animal infécond. Qui ne produit rien. Une bête stérile. Qui pourtant fait des enfants. Des enfants pauvres. Comme Marilène. D’où les surnoms. Des noms raccourcis. Diminués. Rendus petits. Marilène. De Marie-Hélène. Un petit animal stérile. » En se substantivant, l’adjectif latin pauper a créé un statut social, un état de fait, une boîte cadenassée dont laquelle certains sont rangés dès leur naissance et que personne ne prendra jamais le risque d’ouvrir – à commencer par les pauvres eux-mêmes. À l’appui de l’écriture brutale, volontairement décharnée, qui servait déjà son premier roman, L’Homme incertain, Stéphanie Chaillou s’applique à restituer méthodiquement la biographie détaillée de Marilène, petit animal infécond né dans l’une de ces boîtes. Ce qui l’intéresse surtout, c’est la manière dont elle est modelée, à chaque étape de son parcours, par son rapport à cette identité sociale réfractée par le jugement des autres. À l’école, « quand Marilène comprend qu’elle est pauvre, cela s’opère comme un rassemblement subit d’images et de sensations. Ce qui était épars devient rassemblé ». Le dos voûté du père, les silences, la nourriture et les vêtements, les regards des gens : pour Marilène, soudain tout fait sens. Et avec ce sens vient la conscience, non pas d’un destin, mais d’une sorte d’empêchement, pour ne savoir le dire autrement, dont vont s’imprégner la petite fille puis la femme que cette petite fille va devenir : après des études prometteuses mais abandonnées, une émancipation familiale tristounette, des petits boulots ternes puis un mariage sans amour, la voici institutrice sans vocation. On pressent qu’à chacun de ces stades, Marilène a déjà renoncé à réussir, flairant la fausse note, soucieuse malgré elle de ne pas transgresser l’ordre des choses.
Le regard que pose l’auteure sur cette vie d’où est singulièrement absente toute joie est proche de celui de l’encyclopédiste, distant et dénué d’empathie, ayant pour principe de ne pas interférer avec son sujet d’étude. Et pourtant, paradoxe, la réalité décrite est une bombe qui nous explose au visage sans préavis. « Elle a dit qu’avoir été pauvre lui avait donné envie de se venger. Que la pauvreté avait laissé cette trace en elle. Un désir de vengeance et de méchanceté. Elle a dit aussi qu’avoir été pauvre lui avait enlevé la possibilité de regarder les choses avec candeur. Qu’il n’y avait plus eu de candeur en elle. Que son regard était devenu dur. Et que, même après, elle n’avait pas pu le changer. »
Le salut arrive enfin lorsque Marilène comprend que ce n’est pas elle qui est pauvre, mais ses parents qui l’ont été. Et que la seule façon de se libérer de cet héritage familial, c’est d’écrire. D’une part, parce que lui devient accessible un territoire dont elle s’était toujours sentie tenue à l’écart, celui de l’expression. Et d’autre part, parce que au contraire de la joie, de l’amour, du confort, l’écriture est la seule chose dont la pauvreté ne puisse pas la priver. « Elle a découvert qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se taise. Qu’elle pouvait elle aussi s’exprimer. Que le monde ne s’effondrait pas quand elle s’exprimait. Que le monde se moquait pas mal de savoir si Marie-Hélène Coulanges avait ou non peur de prendre la parole. (…) Que seules les Marie-Hélène Coulanges étaient encore capables de croire qu’il leur fallait une autorisation. Que le monde, lui, se foutait pas mal des autorisations. Qu’avec ou sans, il tournait. Et que si les Marie-Hélène Coulanges continuaient à se taire, c’était leur affaire. » Le Bruit du monde est un plaidoyer en faveur de l’émancipation sociale et du courage d’être soi, autant qu’un hommage aux vertus rédemptrices de la littérature – cette dernière nous mettant rarement face à des personnages aussi insupportablement nus.
Camille Decisier

Le Bruit du monde, de Stéphanie Chaillou, Notabilia, 168 pages, 14

Même les pauvres peuvent écrire Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°191 , mars 2018.
LMDA PDF n°191
4,00 
LMDA papier n°191
6,50