En 1936, Paul Éluard présente Dora Maar à Picasso. Commence alors une liaison passionnelle qui s’achèvera brutalement en 1943. En guise de cadeau de rupture, Picasso offre à celle qui fut sa muse, à celle qui mit soin art, la photographie, à son service, la grande maison de Ménerbes, dans le Vaucluse. C’est là, dans l’omniprésente absence de Picasso, que celle qui fut aussi la maîtresse de Georges Bataille et l’amie des surréalistes, se retire et passe l’essentiel de son temps à peindre : « Continuer à peindre malgré la solitude, c’est symboliquement rester blottie dans le lit du maître, c’est entretenir le feu fallacieux de la consolation, c’est se griser à l’essence de térébenthine, c’est, à volonté, diluer le grain de sa voix dans l’oxygène. » Peu après sa mort en 1997, Jérôme de Staël, son cher voisin, photographie cette maison pleine de vide. À partir de ces photos, Stéphan Lévy-Kuentz invoque par la magie d’une écriture tout en pudeur et en sensibilité le fantôme mélancolique de Dora et, avec lui, de tous ceux qui ont fréquenté le couple : Lacan, Char, Braque, Man Ray, Breton, Crevel et d’autres encore. Avec ces fantômes, Stéphan Lévy-Kuentz fait revivre une époque joyeuse et cruelle, créative et destructrice, balayée par une modernité tristement sérieuse et moralisatrice. Sitôt tournée la dernière page de ce si beau livre, le lecteur n’aura à n’en pas douter qu’une envie : se replonger dans sa lecture.
Éric Bonnargent
Manucius, 88 pages, 15 €
Domaine français Sans Picasso de Stéphan Lévy-Kuentz
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Eric Bonnargent
Un livre
Sans Picasso de Stéphan Lévy-Kuentz
Par
Eric Bonnargent
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.