Québec, 1981. Pendant que des millions de Québécois assistent, hypnotisés, à la première apparition télévisée de Céline Dion, une guerre locale sanglante déchire la petite péninsule de la Gaspésie, au nord de la poétique Baie des Chaleurs, et passe presque inaperçue aux yeux du monde. Le gouvernement tente d’interdire la pêche aux Mi’gmaq, une peuplade de quelques milliers d’habitants parqués dans des réserves, pour lesquels le saumon représente quasiment l’unique ressource économique. Une décision qui cristallise des enjeux socio-politiques beaucoup plus vastes, et qui remet sur le tapis les anciens démons nés de la colonisation, ceux-là même qui, deux siècles plus tôt, sur le même territoire, avaient déclenché la terrible bataille de la Ristigouche entre la France et le Royaume-Uni pendant la guerre de Sept Ans.
C’est autour du viol d’une jeune Indienne par des agents de la GRC (Gendarmerie royale du Canada) que se construit le texte d’Éric Plamondon. Un vieil Indien mi’gmaq, un garde-forestier québécois révolté par la politique du gouvernement et une expatriée d’origine française forment un trio indissociable, bien qu’éphémère, porté par la même révolte, rassemblé au chevet de la jeune fille violentée comme autour d’un même étendard. Car cette terre de mélanges pas toujours pacifiques est encore chaude du sang des colonisés, et la haine reste latente, tapie dans l’ombre des érablières. « On dirait que le colonialisme, c’est un peu comme un saumon, tu peux le jeter à la mer, il finit toujours par remonter là où il est né. » Ces saumons qui rejoignent leurs eaux natales pour la première fois (les « taqawan » en langue mi’gmaq), certains chercheurs estiment qu’ils s’orientent grâce au parfum de la rivière, car leur odorat serait mille fois plus développé que celui des chiens. Éric Plamondon file la métaphore tout au long du récit, en réalité une salve de chapitres courts, dont certains clapotent au gré du courant et d’autres claquent comme un coup de fusil. Pêcher le saumon, poisson fuyant, bondissant, évanescent, presque liquide, c’est comme tenter de « saisir quelque chose qui nous échappe ».
Le nouvel ouvrage d’Éric Plamondon, né au Québec en 1969, auteur notamment d’une trilogie publiée en France chez Phébus, aurait sans doute pu faire l’économie de l’histoire d’amour, saupoudrée çà et là comme un arôme artificiel, pour rester concentré sur les questions fondamentales de l’identité, de l’appartenance et du rejet, qu’il aborde avec un certain brio : « Il faut se méfier des mots. Ils commencent parfois par désigner et finissent par définir. (…) Quel monde pour un peuple qu’on traite de sauvages durant quatre siècles ? » En bonus culinaire, très à propos en cette période de fêtes, la recette de l’authentique soupe aux huîtres, que les Amérindiens aromatisent, curieusement, avec de la menthe fraîche.
Camille Decisier
Taqawan, d’Éric Plamondon
Quidam éditeur, 210 pages, 20 €
Domaine français Guerre et Pêche
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Camille Decisier
« Au Québec, on a tous du sang indien, écrit éric Plamondon. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains ».
Un livre
Guerre et Pêche
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.