La presse ne nous aura jamais déçus. Bien sûr, on râle lorsque les éditorialistes mollissent du genou, lorsque les rédactions vasouillent parce qu’elles ne savent plus où poser leurs rhétoriques. Il y a du journaliste comme de l’artiste une maladie du ratage : rater l’époque, rater le sujet, rater l’angle, mal choisir ses postulats… et ses fréquentations. Pour autant, il y a toujours quelque chose à consommer dans un journal ou dans un magazine. Si la curiosité prime, elle trouve toujours de quoi s’alimenter. Notez bien que ça n’est pas toujours le cas dans un livre dont la plume unique peut nous faire perdre patience très vite, sans espoir de rémission à la page suivante. La presse a ceci de puissant qu’elle est un montage collectif. Et puis elle est d’une diversité à faire pâlir les fabricants de vêtement et les galeries d’art. Deux publications concomitantes donnent l’occasion de saluer tous les confectionneurs de journaux, de revues, de magazines, en particulier ceux qui s’engagent soit à nous faire rire, soit à abreuver notre curiosité.
Pour la variété, on ne pouvait pas rêver illustrer mieux la variété des périodiques : un journal satirique d’un côté et une revue culturelle de l’autre, un rouge révolutionnaire à main gauche (Jules Jouy, 1855-1897), une droite claironnante à la dextre (Michel Mourlet, né en 1935 – on l’entend désormais sur Radio Courtoisie). Quant à la façon de les remettre en lumière, il n’y en a que deux : intégralement (Le Journal des assassins de Jules Jouy) ou découpés en bons morceaux (Matulu de Michel Mourlet)… C’est Bruno Fuligni qui s’est occupé de ressusciter le Journal des assassins de Jules Jouy (dit « le poète-chourineur » parce qu’il avait débuté comme garçon-boucher), journaliste et écrivain dont la chanson « Derrière l’omnibus » connut un grand succès et qui finit chez les fous à Charenton. Membre du Chat noir, des Hydropathes et autres manifestations fumistes, il était un poète à la verve révoltée et gouailleuse, un farceur, qui lança son journal sardonique typique de la « petite presse » en usant du vecteur de l’humour noir au moment où le culte de la guillotine battait son plein. Comme autrefois les canards sanglants faisaient monter l’effroi, il en jouissait, multipliant les plaisanteries carabinées et les astuces à base d’assassinat pour amuser les lecteurs des grands boulevards. L’aventure dura le temps de publier dix livraisons, du 30 mars au 1er juin 1884. On y trouvera à relire un étonnant manifeste littéraire qui prouve que la modernité ne craint pas la légèreté (songeons à Alphonse Allais).
Matulu, c’est sur le modèle journalistique de la Quinzaine littéraire ou des Lettres françaises qu’il a été créé en mars 1971. En opposition pour être exact, car alors les intellectuels de gauche prenaient tout le lit. Un journal culturel ancré à droite avait son mot à dire et trouva à le dire brillamment en explorant les terres esthétiques – littéraires et cinématographiques en particulier. Le choix des articles, notes de lecture, dossiers ou entretiens issus des trente numéros parus jusqu’en 1974 a été effectué par François Kasbi, que l’on remercie au passage : il n’a pas oublié les passes essentielles de cette navigation en haute mer. Son anthologie met naturellement en belle place les plus beaux dossiers consacrés à Loti, Chessex, Larbaud, Etiemble, Perros, Delteil, Gustave Roud, Jacques Borel, Cossery ou Léo Malet, des notes de lecture pertinentes, etc. On doit souligner qu’en ses pages se développa un brillant critique nommé Jean-Pierre Martinet. Si on l’avait oublié, c’est bien dans Matulu que l’auteur de Jérôme redimensionna l’œuvre alors négligée d’Henri Calet, lançant ainsi la remise en vigueur d’une bibliographie majuscule du siècle passé. Au fond, on regrette de n’être plus à la grande époque de Jean-Michel Place qui nous fournissait l’intégralité de la revue Action sans barguigner en 1999. Il faut souhaiter que le succès de l’anthologie de Matulu par Kasbi rejoigne celui du florilège de la revue Bizarre de Michel Laclos par Jean-Marie Lhôte (Berg, 2009) et entraîne pour les deux titres la réalisation d’un fac-similé intégral. Entrés au panthéon des revues, ces réceptacles d’impertinence, de savoir et d’intuitions méritent d’être relus largement. Première étape : un plébiscite pour le Journal des Assassins et Matulu !
Éric Dussert
Matulu, journal rebelle (1971-1974)
Anthologie de François Kasbi,
éditions Max Chaleil, 478 pages, 20 €
Le Journal des Assassins, présenté
par Bruno Fuligni,
Place des victoires,
160 pages, 25 €
Revue D’intempestifs écrits
novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188
| par
Éric Dussert
Charme et matière sont les mamelles des revues et journaux d’autrefois. Deux anthologie et réédition réveillent les enjeux de nos Anciens. Relecture.
Un livre
D’intempestifs écrits
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°188
, novembre 2017.