Des histoires de disparitions naissent sous l’agile clavier de Kanishk Tharoor. Une femme confie au micro des ethnographes la langue « exilée de ce monde », avec ses « conjugaisons quichottesques » qu’elle est la dernière à parler. Un compte à rebours rapproche peu à peu l’armée du Khan d’une ville bientôt pillée, et les conversations du « salon de thé » ont des accents pour dire les légendes de l’Histoire. À cause d’une immense montée des mers, les Nations Unies gravitent dans l’espace. Un frère attendu ne franchit pas le désert. Un navigateur périt, un brise-glace s’immobilise… Pourtant dénué de volonté de pasticher le maître, l’écrivain indien se situe dans l’orbite de Borges. Ses « Miroirs d’Iskandar », tournant autour de la figure d’Alexandre devenu un « héros musulman » et conseillé par un Aristote orientalisé, en témoignent aisément, réécrivant avec les oripeaux magnifiques de la légende une Histoire magiquement parallèle à sa réalité perdue. On ne peut s’empêcher de penser aux Mille et une nuits tant prodiges, fureurs et présages peuplent l’écriture sensuelle du nouvelliste.
Entre passé mythique, science-fiction, voyage d’éléphant ou vol d’un trésor culturel anglais pour le compte d’un musée indien, réalisme et merveilleux alternent et réagissent au moyen d’un système d’échos parmi ce recueil brillant, quoique – c’est la loi du genre – inégal. Quant à « Lettres au pays », elles sont dix à démultiplier les hauts faits et méfaits, en une cosmopolite diffraction. Si « l’objectif du roman n’a jamais été de rapporter des faits historiques bruts », ces treize nouvelles qui se révèlent plutôt être des contes jouent avec les dés du réel et de l’imaginaire. Sans compter que « La chute d’un cil » est peut-être le récit le plus émouvant…
Thierry Guinhut
NAGER DANS LES ÉTOILES de Kanishk Tharoor
Traduit de l’anglais (Inde) par Francis Kerline, Seuil, 240 pages, 18,50 €
Domaine étranger Nager dans les étoiles
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.