L’espoir n’aide en rien. Au contraire, il rouille l’âme et nécrose les sentiments. De là à affirmer que le désespoir redonne le sourire… Entre les deux, l’ennui triomphe. » Dès les premières phrases, Dominique Forma sait nous plonger dans une ambiance, et dans ce qui va résonner au fil de son bref roman, cette question de l’espoir qui nourrit une vie, ou pas…, du désespoir qui l’accompagne, trop souvent. Et puis de cet ennui qui est le lot de Jamie Asheton dans ses fonctions de gardien du Central parking, situé dans un quartier sans âme d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Nous sommes en décembre 2001, il pleut des trombes d’eau, Jamie cherche à passer le temps, il ne peut plus regarder sa télé de poche qui a rendu l’âme « deux jours avant que les tours jumelles de Manhattan ne partent en fumée », ce qui fait de lui un des rares Américains à avoir raté l’événement en direct. Et puis en cette nuit d’ennui comme tant d’autres, une voiture entre dans le parking, monte lentement les étages jusqu’au dernier, ce que personne ne fait dans la région (qui irait se garer sur le parking-terrasse, soumis à tous les aléas climatiques ?). Jamie réagit vite, rejoint sa cabine à l’entrée, la voiture redescend et s’arrête, deux types à l’intérieur. Jamie abat le conducteur, blesse le passager et file prévenir sa femme, Jackie. Voilà, tout commence dans un parking, un point de départ idéal pour un road movie, et Dominique Forma, en fin connaisseur du cinéma et du roman noir américains, nous y embarque à toute vitesse, usant de quelques topoï du genre.
Jamie et Jackie se nomment en réalité Damian et Eva. Depuis onze ans ils vivent cachés, dans le cadre du programme de protection des témoins du FBI. Jamie était un receleur de la mafia new-yorkaise : argent qui coule à flots, vie facile, il avait une certaine élégance, un charme qui fit succomber Jackie. Et puis Jamie lâcha l’affaire, fit tomber le parrain de l’époque en le dénonçant, disparut sous une nouvelle identité, prit du gras…, accepta des boulots de merde dans lesquels il avait l’avantage d’être invisible, un petit blanc pauvre parmi tant d’autres. Quant à Jackie, elle perdit progressivement ses étoiles dans les yeux en regardant son mari, au point qu’aujourd’hui elle rêve de liberté, espérait pouvoir quitter celui qui a gâché son existence et qu’elle méprise au plus haut point. Les événements viennent bouleverser ses plans. Mais nous sommes peu après le 11-Septembre, les services du FBI sont submergés, le contact de Jackie ne répond pas. Alors il décide de partir avec sa femme, direction Los Angeles par la route 66, en plein désert. Et il se doute qu’entre les tueurs de la pègre qui ne vont pas manquer de les poursuivre et l’humeur de chien de sa femme, la balade en voiture ne va pas être de tout repos… Leur fuite éperdue va être parsemée de coups d’éclat, de cadavres, et habitée d’une angoisse permanente, prenante, paranoïaque, se mêlant aux relents d’une relation conjugale qui part en vrille.
Car tout l’intérêt du roman est de mélanger les genres et les rythmes. On est à la fois dans un pur roman noir d’action, le jeu de flash-back qui viennent expliquer le passé et un suspense haletant, et dans le même temps Dominique Forma, par petites touches, distille un regard sur l’Amérique, croque ce monde des villes paumées, ses maisons délabrées, ses quartiers de béton, ses motels pourris en bord de route, son règne de la bagnole, ses flics grassouillets mais non moins dangereux… Surtout, il met en scène un amour en perdition. Au fil de leur cavale infernale, on assiste à une sorte de scène de ménage ralentie entre Jackie et Jamie, comme si chacun serrait les dents jusqu’à les faire crisser, avec des pics, des éclats épidermiques, qui retombent dans le calme d’une amertume, le désir quasi mort entre d’anciens complices : « Un trou dans le mur : lui et sa femme terrés au fond de ce trou… » Restera à savoir qui de l’espoir ou du désespoir prendra le dessus, au terme de cette belle variation noire sur le couple.
Lionel Destremau
Albuquerque, de Dominique Forma,
La Manufacture de livres, 172 pages, 7,90 €
Domaine français On the road again
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Lionel Destremau
Un roman noir coup de poing de dominique forma, à la fois clin d’œil aux références du genre et histoire d’amour meurtri.
Un livre
On the road again
Par
Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.