Patrick Varetz, du tragique au burlesque
On avait laissé dans Petite vie le jeune Pascal Wattez, une dizaine de printemps au compteur, découvrir les plis cachés d’une sexualité d’autant plus désirable qu’elle permettait de fuir les coups du père « ce salaud », la perversité d’une grand-mère et la folie maternelle. On le retrouve ici, jetant rapidement un regard par-dessus l’épaule, se remémorant quitter à 17 ans la maison familiale, brûler la vie par les psychotropes et s’angoisser comme s’il préparait le championnat du monde de l’hypocondrie. Il a 30 ans et travaille pour Blanc, un type qui trimballe son ego et sa cour, lui commande des textes à caractères commerciaux et s’apprête à enterrer son chien. Rédacteur sur commande, notre narrateur semble s’être introduit dans un roman de Beckett. Sa vie est un naufrage chaque jour répété tenue tout entière dans un appartement à la porte duquel les huissiers se cassent le nez, et sous laquelle ils glissent leurs commandements. « Com- ment peut-on, passé trente ans, se retrouver seul ? » se demande notre garçon qui décide alors de renouer avec Claire une fille perdue de vue depuis belle lurette. « C’est à peine si je m’autorise à rassembler quelques détails pour évoquer son apparence : des cheveux noirs, et – à l’exception d’une mâchoire proéminente – un grand corps sans relief. »
Quand il imagine la vie qu’elle mène, on se dit que l’impératif du sexe est plus fort que les sentiments : « Elle vit obligatoirement seule, et se jette dans le vide supposé de son existence et le traverse, avec des gestes de tragédienne, furieusement agitée chaque fois que résonne le grelot de son téléphone. » La phrase est belle, il semble qu’elles le soient toutes dans ce roman à la densité de l’osmium. Claire viendra « (sans doute m’attirait-elle comme ces étendues d’eaux noires, malmenées, qui – au détour d’un rêve – vous invitent à la noyade). » Leurs premiers ébats ne déparent pas au vide qu’ils habitent l’un comme l’autre : « C’est la première fois que nous partageons le même lit, mais – à nous deviner ainsi, paralysés sous le drap – on croirait un vieux couple, occupé à remuer intérieurement d’anciennes images pour raviver un semblant de désir. » Le premier coït offre des pages d’anthologie, drôles tellement elles sont cruelles. C’est la grande force de cette écriture : dénuder si parfaitement la comédie humaine qu’elle en devient irrésistiblement comique. Pour le lecteur s’entend. Car notre narrateur s’enferme dès lors dans une relation qui rappelle celle, originelle, du père « ce salaud » et de « sa folle de mère ». Peut-on échapper à son destin ? Plongée dans le monde factice de Blanc, Claire s’enfonce dans une folie de plus en plus furieuse à laquelle Pascal alors n’a plus qu’un chant à opposer, le chant pour une femme qui chute et chute sans cesse. Jusqu’au trou.
Sous vide P.O.L, 215 pages, 15