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janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179 | par Éric Dussert

Nouvelle traduction pour le grand livre de Carlo Emilio Gadda, qui suivait tous les courants du fleuve tumultueux des vies.

L' Affreuse Embrouille de via Merulana

Son titre italien est Quer pasticciaccio brutto de via Merulana. C’est un chef-d’œuvre du siècle dernier signé Carlo Emilio Gadda (1893-1973). Il date de 1957. Il raconte les conséquences de deux crimes, un vol et un meurtre au fil d’un long fleuve verbal, polyphonique, intérieur ou tonitruant, grommelé en borborygmes ou formel et châtié. On le connaissait en France sous le titre de L’Affreux Pastis de la rue des Merles dans la traduction de Louis Bonalumi de 1963. Jean-Paul Manganaro en propose une nouvelle version, plus littéraire sans doute. On veut dire une version qui a plus de coffre, de lustre. La comparaison des deux manières appliquées aux premières phrases donne ceci, c’est éloquent et même troublant.
Traduction Bonalumi : « Étourdissant d’ubiquité, omniprésent à chaque ténébreuse affaire. Tous désormais l’appelaient don Ciccio, de son vrai nom Francesco Ingravallo, détaché à la “mobile”, un des plus jeunes fonctionnaires du bureau des enquêtes, et des plus jalousés. Dieu sait pourquoi. La taille moyenne, assez rebondi de sa personne, ou bien peut-être un tantinet courtaud, le cheveu noir, dru et crépu, enraciné jusqu’à mi-front – comme pour protéger ses bosses métaphysiques exposées au bel astre du ciel d’Italie – il avait l’air un peu ensommeillé, l’allure appesantie et nonchalante, le geste vaguement balourd du particulier qui combat une digestion laborieuse. »
Traduction Manganaro : « Tous l’appelaient désormais don Ciccio. C’était le dottor Francesco Ingravallo détaché à la garde mobile : l’un des fonctionnaires les plus jeunes et, on ne sait pourquoi, jalousés du bureau enquêtes : doué d’ubiquité, omniprésent dans les affaires ténébreuses. De taille moyenne, plutôt replet de sa personne, ou peut-être un peu trapu, les cheveux noirs, touffus et crépus qui semblaient sortir à mi-hauteur de son front, comme pour abriter du beau soleil d’Italie ses deux bosses métaphysiques, il avait un air un peu somnolent, une allure lourde et indolente, la façon d’agir un peu niaise de quelqu’un qui lutte avec une digestion laborieuse ».
On se demande comment un même texte peut donner des résultats aussi différents. On retrouve la verve gaddienne dans la nouvelle traduction, avec ce qui paraît un petit plus, une fluidité qui n’existait pas dans la manière initiale, plus rugueuse – mais il nous avait semblé que Gadda avait ce tropisme « matériau dépoli ». Comme l’explique Manganaro, il y a des traductions qu’il faut aller chercher. « C’est que ce roman est un véritable laboratoire linguistique de traversées et de glissements auquel on a donné le nom de “plurilinguisme”. Le croisement des dialogues et surtout la broderie quasi constante de l’invasion dialectale qui se greffe, en la blessant, sur la grande prose italienne sont, dans la langue originale, étonnants, pour une raison relativement étonnante : les dialectes sont encore entièrement parlés en Italie. »
De fait, ce roman est un passage cardinal de la littérature du siècle dernier. Fruit de la filiation qui mène des Lauriers sont coupés d’Edouard Dujardin (le monologue intérieur) aux Hommes gris d’Ettore Settanni en passant par l’Ulysse de Joyce, et dans la proximité des phénoménaux expressionnistes de Russie ou d’Allemagne, il excite des zones précieuses de l’esprit, celles qui se laissent envahir par la curiosité et l’électricité de la phrase lorsqu’elle est composée par un écrivain subtil qui sait tresser son récit comme un filet. Son enquêteur Ingravallo suit ses pistes, errant conséquemment parmi les Hommes, nouvel Ulysse immergé parmi les siens, perdu dans son monde dont personne ne maîtrise le tourbillon permanent. Personne sauf Gadda, distribuant les rôles dans sa farce, la poésie, le sarcasme et ses embrouillaminis somptueux. À lire, forcément, et à relire pour s’y perdre encore. Éric Dussert

L’Affreuse Embrouille de via Merulana, de Carlo Emilio Gadda
Traduit et présenté par Jean-Paul Manganaro, Seuil, 359 p., 23

Italic mic-mac Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°179 , janvier 2017.
LMDA papier n°179
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