Revenge porn : ainsi nomme-t-on la méthode consistant à diffuser publiquement des images intimes d’une ancienne relation. La pratique se développe et connaît depuis peu un certain succès dans le champ politique. C’est ainsi que Valérie Trierweiler étancha son ressentiment après avoir découvert chez son compagnon une passion pour les mobylettes que jusque-là il lui avait tue. Voici à présent que Patrick Buisson, coach personnel de Nicolas Sarkozy, écarte les rideaux des alcôves élyséennes pour nous dévoiler le secret des gesticulations privées de son client (avec la publication des roucoulades de François Mitterrand sur trois décennies, on serait presque tenté d’ajouter Anne Pingeot à la liste).
Quelle infamie provoqua cette ire vengeresse ?
Entendre son ancien partenaire le qualifier de « traître » sur le plateau d’un journal télévisé. « Ce fut le mot de trop », explique-t-il en préambule de son livre. Fallait pas le traiter, Patrick. Alors quoi, on ne peut plus enregistrer clandestinement ses amis avec un dictaphone dissimulé dans le revers du veston ?
L’ouvrage s’intitule La Cause du peuple. Et derrière le détournement du titre, point déjà la nostalgie de l’auteur pour les vieilles rixes du vingtième siècle, le temps des joyeux échanges de baffes entre fachos d’Occident et cocos de la Ligue (et si la guerre de Sécession c’est sûr a cessé, le chapitre X du livre nous annonce que « La guerre d’Algérie n’est pas terminée »).
Le texte de Buisson combine essai politique et chronique du règne, mêlant l’anecdotique à l’idéologique. C’est là le piège. Comme dans ces hypermarchés où les packs d’eau minérale sont placés à l’autre bout du magasin afin de contraindre le chaland à traverser la totalité des rayons, le lecteur en quête de croustillant doit auparavant en passer par le filandreux : la doctrine.
Avaler un chapitre sur l’identité nationale avant de surprendre Rachida Dati dénigrer Rama Yade au cours d’un dîner à la Maison Blanche : « Elle ne sait pas se mettre en valeur. Je sais bien que ce n’est pas simple, parce qu’elle a un gros cul de black, mais elle pourrait faire un effort tout de même. Fadela, au moins, suit mes conseils. Elle est allée chez le coiffeur. » Ou ingurgiter un exposé sur le retour du religieux avant d’apprécier la truculence du président, digne du Raoul Volfoni des Tontons flingueurs : « Pourtant ce n’est pas un tendre, Bertrand. (…) Dix ans à essayer de placer des assurances en Picardie, dix ans à taper aux portes et à se prendre des râteaux, ça a de quoi vous rendre méchant pour le restant de vos jours ». On peut enfin, entre deux ressassements sur mai 68, les bobos, les « papas-poussette » et le péril islamique, savourer le compte-rendu d’un déplacement au Saint-Siège : la belle-mère de Sarkozy en fourrure de courtisane, Jean-Marie Bigard, « appareil photo à bout de bras » mitraillant tout sur son passage, et Guy Gilbert, « le curé des loubards » pressant l’évêque d’accélérer la visite, car il a « les crocs ».
Patrick Buisson s’est appliqué. Certains portraits de cour trouvent des accents saint-simoniens. Sans doute tenait-il à ce que l’on mesure, par l’écart entre sa prose et la « syntaxe capricante » du leader des Républicains, tout ce qui le séparait de sa cible.
Cependant, la recherche du coruscant assomme et l’accumulation de préciosités manque parfois de tourner à la partie de Scrabble (florilège : salvifique, gyrovague, feudataire, synallagmatique, verbigération, théophilomédie, médicastre…). Parodiant l’auteur, on pourrait dire que certains passages exhalent des flagrances oléo-cubitiques. Comme si les vieilles idées exigeaient de vieux mots. Qu’on ne pouvait singer Maurras qu’en employant des mots rances.
On comprend que les politiques se soient laissé fasciner par la culture de l’ancien rédacteur en chef de Minute. Habitués à consulter des fiches, ils rencontraient un homme qui avait lu des livres (tu te rends compte, il a dû perdre un temps fou) et qui maniait l’imparfait du subjonctif avec autant de brio qu’eux-mêmes récitaient les indicateurs économiques.
Malgré ses dénégations, la rancune de Patrick Buisson tient du dépit amoureux. C’est à Carla Bruni, dépeinte au fil du récit comme une nouvelle Madame Verdurin, que l’auteur réserve ses plus violentes attaques. Le chef de l’État, qui concluait les échanges avec son mentor d’un « Je t’aime, mon Patrick » n’est plus le même depuis qu’il s’est acoquiné avec l’ancien mannequin. L’amertume de l’auteur, c’est celle du créateur qui voit lentement sa créature lui échapper. Cette histoire, c’est l’affaire Pygmalion.
En grande surface La dernière bande
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Pierre Mondot
La dernière bande
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°178
, novembre 2016.