Sans qu’il en soit dit davantage, c’est par une simple allusion à Homme au jouet d’enfant, l’un des livres de Mathieu Bénézet, qu’il est fait ici référence à ce poète, décédé en 2013. La visée, s’il en est une, de Papiers retrouvés tient toutefois de la remémoration et celle-ci ne se donne pas moins comme le chant, fût-il élégiaque, de ce qui a été et voudrait, pour reprendre la belle formule d’Yves Bonnefoy, « accéder à un second degré du désir ». D’emblée, il est question d’un fleuve qui dessine l’arrière-plan de ce paysage où s’ébauchent les prémices d’un deuil, ou du moins d’un autrefois révolu. Mais cet éloignement fait émerger tel un flux profond, l’écriture, qui, elle aussi, charrie ses dépôts alluvionnaires. Ce n’est pas seulement cet agrégat de matière et de mémoire qui afflue là, mais les silences, et ce qui demeuré en suspens, n’est pas simple inachèvement mais ce regard qui cherche l’horizon.
Aux papiers retrouvés, souvenirs rassemblés de l’absent, se mêlent ces notes saisies par à-coups, jalons que l’écriture offre de poser devant soi. Ainsi, une branche d’arbre sur l’étagère, les roses dans leur pot à moutarde, les échos de la ville, bruits de pas, et de métro, délimitent l’espace et le temps, mais selon une fragile réversibilité. La vie et la mort se respirent ensemble, et l’air saturé de l’été révèle la présence du feu comme de l’étouffement. Les motifs répétés de la couleur rouge, mais aussi du sang constituent autant d’images percutantes, et l’aspect itératif de ce temps où passé et présent fusionnent et battent le même rythme, s’accentue au point qu’il n’y a plus là de commencement ni de fin mais, écrit Fabienne Courtade, « un film qu’on passe / et repasse / car il manque toujours le début », et lit-on encore, « les images suivent/une à une / le goutte à goutte / du robinet /(…)/ continuent / le haut du plafond devenu tache noire ».
D’autres signes sont à l’œuvre et dénotent la noirceur de cette mort lente du pourrissement : « dans les couloirs souterrains / l’eau stagne / avec les cadavres oubliés ». De même, ce mois de février ici désigné comme le « plus noir des hivers » souligne également l’extrême rigueur d’une saison passée dans de lointaines profondeurs. C’est alors que l’écriture du poème fait fonction de résurgence, et que la note de gravité qui jaillit de ces pensées et réminiscences appelle notre écoute.
Emmanuelle Rodrigues
Papiers retrouvés, de Fabienne Courtade
Le phare du cousseix, 16 pages, 7 €
Poésie Chercher une sortie
septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176
| par
Emmanuelle Rodrigues
Souffle de vie retrouvé, Papiers retrouvés de Fabienne Courtade libère une parole épurée, vibrant d’une respiration profonde.
Un livre
Chercher une sortie
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°176
, septembre 2016.