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Domaine français Destitution de pans entiers de moi-même

février 2016 | Le Matricule des Anges n°170 | par Xavier Person

Rêve désagréable cette nuit, difficile à raconter : je suis moi-même et en même temps mon double qui n’est autre que moi, celui du rêve, dont je vois bien qu’il ne me ressemble pas exactement, dont les actes s’accomplissent comme à l’envers de ma vie, dans une sorte de vie inverse, quelque chose comme ça.
Lecture de Martin de Bertrand Schefer hier soir : le narrateur essaie de raconter sa relation à un ami d’enfance dont le destin le hante. Que sait-il au fond de ce camarade dont il était si proche, qui était et reste un peu comme son double, sa part d’ombre, son négatif ? Petit fils d’un grand écrivain, Martin n’inscrit sa vie dans aucune inscription. « Sa vie n’est pas une œuvre, seulement un long, un interminable désœuvrement inconscient.  » Refusant tout statut social, toute porte qui ferme à clef, l’argent, le travail, toute relation, le jeune homme s’abandonne à une errance sans objet, une solitude sans limite, un devenir fantomatique, dans un radical désinvestissement : de squats en hôpitaux psychiatriques, c’est un glissement inexorable vers une sorte de trou noir sans fond.
Mais le livre est plus que cela, ou moins, il raconte l’échec du narrateur à écrire un film à partir de l’histoire sans histoire de Martin. Il raconte une histoire qui ne parvient pas à s’écrire, une fiction qui n’arrive pas à prendre. Il se risque au bord de ce qui le menace comme récit, il essaie de s’approcher de ce point dangereux, à partir duquel son livre même aurait pu ne pas être un livre. Qu’est-ce qui nous fait vivre une vie plutôt que rien, demande-t-il ? Comment parvenons-nous à croire que notre vie soit une vie ? Comment pouvons-nous croire à cette fiction ?
Lecture aussi de la tribune d’Éric Hazan et Julien Coupat dans Libération : plutôt que de combattre le monde de mensonges où nous vivons selon eux, plutôt que de s’illusionner en tentant de redonner du sens à la politique, à la gauche, aux élections, ils proposent d’amorcer « une destitution pan par pan de tous les aspects de l’existence présente  ». Depuis le dehors du système, à partir d’une désertion et d’un « mouvement de soustraction continu  », ils invitent au voyage en empruntant ses mots à Baudelaire : « Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
 / Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
 / De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
 / Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! »
J’essaie d’écrire une chronique sur Martin mais je n’y arrive pas. Ce livre ne se laisse pas plus attraper qu’un ballon trop léger, pas plus que mon rêve imprécis de cette nuit il ne se laisse raconter. Rien ne se laisse inscrire ou si peu. Bertrand Schefer à un moment raconte une nuit, une fin de nuit où alors qu’il rentre chez lui il aperçoit au milieu de la rue déserte une silhouette qui lentement glisse hors de l’obscurité. Il reconnaît son ami qu’il n’a pas vu depuis cinq ans, malgré sa maigreur, en dépit de la fatigue et de l’obscurité, comme surgi de quelque cauchemar très intime : « Il est pâle, il a perdu toutes ses dents, ne restent que de courts moignons grisâtres en forme de pointe qui affleurent sur les gencives. Cela étouffe sa voix, il parle comme il se déplace, lentement, ailleurs, dans un temps différent. Sa parole est une masse opaque, obscure, où je cherche des repères, et il n’y en a plus aucun avec ma vie.  »
Je vois bien que ce livre est si peu un livre, il est si peu certain de ce qu’il pourrait raconter, il me parle de mon rêve où cela tenait à si peu qu’il puisse y avoir quoi que ce soit à raconter. Tout retourne si vite à la nuit. Le rêve de voyage rimbaldien (Martin a habité quelque temps dans une chambre de bonne de la rue de Buci où aurait séjourné le poète), ce désir d’un ailleurs à ma vie, le destin de Martin en est un peu le cauchemar, l’envers sombre, la déception. Je ne saurais pas dire beaucoup plus, mais au fond, je me dis qu’on pourrait lire ce livre comme une sorte de discret adieu à un rêve ou à une croyance, à une certaine idée de la littérature ou de soi-même. Comme une destitution d’un pan entier de mes illusions ? Je repense à ce livre et je me dis qu’il me parle de mon rêve. Ou plutôt : il me parle du moment où je me réveille de ce mauvais rêve pour retourner à mon existence présente.

MARTIN
DE BERTRAND SCHEFER
P.O.L, 94 pages, 8

Destitution de pans entiers de moi-même Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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