Louis Calaferte, les élans d'un insoumis
- Présentation Un îlot de liberté
- Entretien « Un éveilleur »
- Autre papier L’ami de Tarabuste
- Autre papier Commémoration
- Entretien « Une quête intérieure »
- Bibliographie Bibliographie
- Autre papier Chassez la racaille !
- Autre papier « Les mots, ça fait tout trembler… »
- Autre papier « Pas pourris. C’est l’essentiel »
- Autre papier Être soi et l’autre
- Autre papier Du pire que vrai
C’est une date dans ma vie, 2 août 1985, cela se passe Galerie de la Reine, à Bruxelles, librairie Tropismes, j’achète mon premier Calaferte, je ne le connaissais pas, le livre se trouvait sur une des tables des nouveautés, Lignes intérieures. Carnets 1974-1977, je feuillette, accroche illico, vais voir dans les rayons, sous C, trouve encore Hinterland, Portrait de l’enfant, Limitrophe, Satori, Rosa mystica, Épisodes de la vie des mantes religieuses, les achète tous, et en l’espace de quelques semaines Calaferte rejoint le réseau de mes lectures permanentes, de mes fréquentations favorites, celle des écrivains-qui-n’écrivent- pas-des-romans, (« il y a deux littératures », disait-il), et au fil des ans la planche, puis les planches Calaferte vont se remplir, jusqu’à la cinquantaine de volumes. Je ne suis pas lecteur, je veux dire, pas lecteur innocent, je suis écrivain qui lit, à l’affût, de page en page, lentement, crayon à la main. Et les mots, si ça fait pas tout trembler, c’est pas la peine. Chez Calaferte, ça tremble (presque) tout le temps, vibre frémit trépide. À son contact on entre en vibration créatrice. La lecture que j’ai toujours préférée, l’écriture que j’ai toujours préférée, c’est celle de fragments, et Calaferte est un des plus puissants fragmentistes que je connaisse (disait Cioran : « maintenant nous sommes tous des fragmentistes… »), en meilleure place dans la constellation des auteurs (Marc Aurèle, Montaigne, Pascal, Novalis, Lichtenberg, Leopardi, Nietzsche, Wittgenstein, Ludwig Hohl, Guido Ceronetti, Annie Dillard, Georges Perros) qui ont fait du morcellement et de la discontinuité le principe moteur de leur écriture, l’aphorisme, l’alinéa ou la page, le court chapitre, sans cesse amorce & chute, inchoativité & achèvement. Et la rage d’écrire, la passion de s’exprimer, sans précaution, en faisant au lecteur la suprême politesse de ne pas se préoccuper de lui, relater l’aventure intérieure au vif et à cru, « tout livre qui n’est pas un viol de soi n’a pas lieu d’exister ». Lucidité et mysticisme, prière et imprécation, exaltation du religieux et rejet des Églises et de la Religion, exploration des abîmes de l’enfance et du mystère féminin, vénération de la beauté et angoisse permanente, noirceur et clarté. Et au centre le plus incandescent de l’œuvre, ce que tant d’autres ont toujours occulté, travesti et dénaturé, – et c’est ce qui me fascine le plus chez Calaferte : « à peu près tout ce que j’ai écrit est inspiré par le trouble de la féminité… »
Lambert Schlechter
> Dernier livre publié :
Je est un pronom sans conséquence (Éditions Phi)