Claude Louis-Combet de chair et d'ombres
S’inspirant des photographies d’Elizabeth Prouvost autour du thème du Radeau de la Méduse, les Dérives de Claude Louis-Combet s’imposent par la puissance et l’immensité des corps mis à l’œuvre – quelque part entre débâcle de la chair et l’attente épiphanique d’un temps sans cesse aboli.
Ces radeaux-là, aussi lointains soient-ils de celui de Géricault, trouvent leur matière profonde dans la confusion collective, « houleuse et hurlante, hystérique et délirante ». Ils montrent le corps vulgaire, excédé par lui-même, crucifié et offert en pâture aux animaux. À l’occasion du premier des cinq récits, « Le Radeau de la crucifixion », ils disent la foule contre la figure solitaire de l’abomination féminine, isolée jusque dans le vice et le péché. Plus encore, ils donnent à voir les châtiments insufflés à une mère singulière ravagée par les supplices au nom du collectif. Un itinéraire qui est celui de la lente agonie et d’autant de transformations pour celle par qui la crucifixion accède au rang de pure œuvre d’art. C’est que Claude Louis-Combet creuse ici la vacuité des corps : il en dégage « le vide », « l’indéterminé ». Il dévoile des parousies contre nature, où la figure sacrificielle espère enfanter d‘une jambe arrachée. Par le biais du délire physique, il esquisse un degré supérieur de rêverie. Au-delà, il prend soin de dessiner les contours d’une foule semblable à un bloc de chair impassible, avide de crucifixion.
Mais c’est à travers la question du détachement de soi que le cœur du récit doit être saisi, dans cette perte des repères, dans la négation de son humanité – là où tout horizon est révoqué et la révélation perd son sens. Il s’agit du temps du mystère, aux confins de l’expédition « punitive, expiatoire ». Dans un retournement subit, la première crucifiée qui peuple le livre sera finalement plus proche du ciel que de la terre, tandis qu’à ses genoux transite une foule d’aveugle-nés, nouvellement réduite au rang d’animaux. Désormais réduite à la passivité, à l’immobilité, elle est celle par qui l’angoisse transite, « si vulnérable, si lamentable d’être aussi seule et aussi blessée à la surface du monde ». Face à cette mort imminente, le convoi se disperse. Elle est la femme première, celle des marécages et du calvaire – celle par qui sonne l’heure du jugement dernier. Mais toute perspective de salut semble congédiée au profit d’une fugue de mort. Offerte à tous, elle est ce corps devenu livre, elle est le ver blanc « qui occupait le cœur même de la beauté ».
« Le Radeau de la folie » est aussi l’occasion de cristalliser les images archaïques du traumatisme originel. La mère menstruelle, l’exhibition sexuelle de ce qui doit rester cacher – voilà autant de thèmes à même de dire le mal qui ronge, « rapport au sang de la femme ». Il est l’occasion de convoquer le mythe de la brûlure d’Hercule, de fouiller la récurrence du temps suspendu qui est celui de l’archétype. Chacun des cinq récits esquissés par...