Pour se libérer du collet de cette ville spectacle qu’est devenue Paris – ville « bornée, métrée, talonnée » –, Philippe Vasset imagine une secte de piétons professionnels. L’histoire est celle d’un descendant de Georges Bataille devenu géographe qui, poussé par un romancier vénal en manque d’inspiration, traque les zones blanches des cartes d’Ile-de-France pour y camper une société ésotérique. Avec un tel argument, le risque eut été de se complaire dans une solennité mystique ou dans un romantisme outré. Il n’en est rien. Conscient des fantasmes mythologiques que charrie le projet d’une secte cachée, Vasset les passe tour à tour en revue et, avec une drôlerie lumineuse, les désamorce. La conjuration ne présentera ni la réunion de schizophrènes avides d’endroits protégés des ondes électromagnétiques, ni un clan de sadomasochistes suicidaires. À la place, on y découvrira une communauté d’apatrides, l’association de plusieurs solitaires sans costume qui cherchent à se dissoudre dans le monde plutôt qu’à y briller. En talonnant ces espaces inconnus que sont les lieux classifiés, les zones industrielles et les forêts inaccessibles, Vasset offre finalement à son lecteur des possibilités concrètes de se soustraire à la pesanteur de l’identité stable ; ce sont des manières d’évoluer souplement dans l’inapparence, des opportunités physiques d’« échapper, toujours, sans jamais cesser d’être là, jamais ». Ainsi des longs jours consacrés à visiter tous les terminus du métro et à se fondre dans les foules des supermarchés, ainsi également des nuits passées à s’introduire dans des bureaux désertés et à faire flirter son anonymat dans des fêtes d’appartement. Imaginant des expériences géographiques alternatives, Vasset ouvre donc un livre-voie vers un nouvel espace mental, où l’on jouit d’être un spectre urbain et où « l’absence (se fait) plénitude ».
Blandine Rinkel
La Conjuration
Philippe Vasset
Fayard, 207 pages, 17 €
Domaine français
janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149
| par
Blandine Rinkel
Par
Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°149
, janvier 2014.