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janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139 | par Marie Cosnay

Mon sentiment est celui d’un homme qui ayant vu de beaux êtres vivants, représentés en peinture ou réellement en vie mais en repos, se prendrait à désirer de les voir entrer en mouvement et se livrer aux exercices qui paraissent convenir à leur corps. »
C’est Socrate qui parle dans le dialogue de Platon, le Timée. On l’entend, ce passage, dans Les Lignes de Wellington, le film de Valeria Sarmiento. C’est un personnage philosophe qui prononce les paroles de Socrate, un philosophe qui voyage (fuit, c’est la déroute), équipé de son secrétaire portatif et de sa bibliothèque. Mais la déroute est une conquête, la rumeur en est bien répandue : entre la mer et le Tage, là-bas, du côté de Lisbonne, Wellington a fait construire en secret des fortins qui arrêteront les Français. Le philosophe fuit ou avance comme les autres – à ceci près que lui, il cherche quelqu’un. La plupart des autres ont perdu (une femme, leur terre, un enfant) et à partir de la douleur et du deuil avancent, haïssent les jacobins, agissent.
Seul, au milieu de soldats ou paysans qui font de force les soldats, le philosophe cherche quelqu’un, femme éclatante de beauté sur petit médaillon bleu. Il cherche la beauté et la trouvera : mais autre qu’il l’avait désirée. Il devra alors compter avec le fait que la beauté toute faite (figée, peinte, rêvée) ne va pas de soi. Ni ces beaux êtres vivants ne vont de soi, quand ils sont peints ou au repos. Il faut les voir en mouvement, non clos dans ce qu’ils sont ou croient être ; d’ailleurs ils ne sont rien que des lignes mobiles et éternelles. Il n’y a aucun cynisme dans Les Lignes de Wellington, aucune vision de l’Histoire charriant victimes et bourreaux d’un même flot, aucune théorie de l’Histoire – si ce n’est peut-être, en passant, que les chefs veulent ressembler aux chefs (Wellington à Bonaparte), et qu’ils peuvent être des mufles (Masséna).
Mais la question est ailleurs. Elle est importante est précise. Et je crois qu’elle est double.
D’abord : qui se livre aux exercices qui conviennent à leur corps ? Dans l’épouvantable guerre napoléonienne, dans le film de Valeria Sarmiento, petits, jeunes, soldats, sergents et lieutenants, gitans, poètes qui ont lu Voltaire, riches, jeunes filles de bonne famille et prostituées se comportent bien. Même le traître se comporte bien. Bien, ça ne veut pas dire selon une morale extérieure (religieuse ou de convention) mais par rapport à soi-même, à ce qu’on peut faire, à sa ligne de désir, à la loi de son désir. Les personnages de Sarmiento, on dirait qu’ils ont fait vingt ans de psychanalyse ! Quand Chico réclame, pour consoler son chagrin, de tirer, au peloton d’exécution, sur le traître qui a causé la mort de son filleul, le lieutenant lui dit : je désapprouve qu’un soldat agisse par vengeance personnelle. C’est par hasard que je suis soldat, répond Chico, paysan de mon état. Le père du filleul insiste pour que son fils soit enterré là où il est juste qu’il le soit, là où il travailla pendant un an à la construction aussi secrète que fameuse des lignes de Wellington : si vous n’y voyez, lieutenant, pas d’opposition, là où il a travaillé jour et nuit, auprès de moi, ici, sur ces lignes qu’on nous a fait construire. Ce n’est pas un cimetière, impossible. Impossible ? Mais juste dans la bouche du père. Alors la cérémonie a lieu, les hommes se découvrent, le petit terrassier qui œuvra aux lignes reçoit les honneurs militaires le jour de ses funérailles.
La seconde question poursuit la première. Comment et à qui raconte-t-on tout ça ?
Certainement pas comme veut le faire Wellington, en rectifiant la ligne d’un nez ou en cachant les cadavres. Et à qui raconte-t-on tout ça ? Trois fois dans le film le philosophe lit un passage du Timée à un jeune homme crasseux et abandonné, un peu fou, malade de faim, qui traîne sur les champs de bataille et suit la cohorte des exilés. C’est lui (qu’on prend pour une bête, qui ne parle pas, se balance) que le philosophe choisit. C’est à lui qu’il parle. Et c’est le moment magique, magique ou miraculeux : la parole du philosophe adressée au garçon qui ne semble pas avoir raison humaine et qui, de plus, est mort de mort à ce moment-là, réveille le garçon. Le réveille de la mort.
C’est aux plus faibles qu’on raconte comme on raconte. C’est pour eux qu’on met ou remet les choses ou les peintures en mouvements. C’est pour eux et en leur nom et pour qu’ils entendent et parce qu’ils entendent et parce qu’ils voient qu’on montre les corps entrer en mouvement et se prêter aux exercices qui leur conviennent, à ces exercices qui sont bons pour eux. C’est pour les plus faibles, pour les plus abandonnés et pour les morts qu’on dit et peint le mouvement.

*



L’Histoire n’a jamais raison. On a rarement raison avec ou contre l’Histoire. Quelles que soient, en notre temps de basculement, les lignes politiques de notre Europe, notre question, infiniment politique parce qu’éthique, pourrait se tenir là : quels sont les mouvements qui (me, te) conviennent ? Comment j’agis et comment je dis ? Et comment je fais, concrètement, pour ne jamais oublier que c’est au plus oublié que je m’adresse ?

Au plus oublié Par Marie Cosnay
Le Matricule des Anges n°139 , janvier 2013.
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