La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

A la fenêtre Où voir venir

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Marie Cosnay

C’est pas parce qu’on est là qu’on a une idée du monde et de ses expériences géographiques, des immenses circulations qui le creusent, le changent, des mers qui montent et du trait littoral qui s’efface, divague, des théologies des folies des idéologies, jusqu’à celle, la pire ou selon les points de vue la moindre, celle qui va endormir le cœur en violence, l’idéologie du marché, l’idéologie sans idéologie de la tondeuse du dimanche, l’idéologie fondamentaliste de chacun chez soi toute haine bue toute attente écrasée.

La gare, le port, le bord de mer préservé, chic, le calme dans la baie et quand on marche le long, Sainte Barbe, en promontoire, à la jonction, d’où voir venir. C’est pas parce qu’on est là qu’on sait les trafics, les hommes et les femmes sur mauvais cargos, matelas pneumatiques, barques de fortune et la fortune que c’est de pouvoir quitter la Libye après trois ans de brouetta, c’est-à-dire tu m’as compris à pousser la brouette dans les marchés après que les gens ont acheté ce qu’ils avaient à acheter et jeté ce qu’ils avaient à jeter, c’est pas parce qu’on est là qu’on sait quelque chose à propos des valises dans les doubles fonds desquelles l’héroïne est planquée confortable à déjouer les contrôles, expédiées de puissants à puissants d’Afghanistan via Kosovo jusqu’à l’Europe – comme quoi ça circule aux frontières ne fait rien d’autre que de circuler aux frontières, produits clandestins hommes à visas et costumes de lin, avions de sociétés secrètes qui portent un nom grec ou de racine grecque tandis qu’on pousse la Grèce vers le désespoir ou la sortie en suivant trois idées, une de moralité à petite semaine, une de toute-puissance à tondre les jardins du chacun chez soi et une de souffrance nécessaire du plus grand nombre pour l’enrichissement du plus petit, quand on est là on comprend pas forcément l’idée de l’enrichissement à tout prix, on peut ne rien y comprendre quand on est là, en toute bonne foi ne rien y comprendre, s’interroger.

Brûleur c’est un qui brûle la mer et ses papiers, tu as un corps incendié et ton corps incendié est ce que tu as de plus cher et de moins désespéré alors que tout est désespéré, ton corps brûlé et très précieux tu le confies à un bateau, c’est le premier bateau qui vient à toi, il a été ardemment désiré et il est forcément un bateau risqué mais qu’est-ce qu’un homme qui ne prend pas de risque, tu vas, plein d’espérance et de peur et la peur le prouve : tu as retrouvé le sens de l’aventure, on jette de l’eau sur toi, pour la bénédiction, on chante pour toi les chants du départ et tu les entendras encore quand tu seras dans des soutes, quand les bruits des moteurs te rendront sourd à tout sauf aux chants, brûleur, va.

La mer à Sainte Barbe est douce en surface, plissée légèrement au-dessous, des rideaux horizontaux et d’un bleu presque noir parce que l’orage monte. Hier soir il a été question, entre nous, de la Russie, ça se disputait ferme, c’est pas parce qu’on est là qu’on a une idée sur la Russie et l’Occident, chacun a les alliances merdiques qu’il peut – les moins merdiques sont merdiques quand même, se positionner, fichu jeu d’échecs ou de dames, qui m’a dit récemment Tu comprends il faut que je me positionne, c’est T, il voulait après sa demande d’asile en Grèce, demande contrainte pour quitter les vingt et quelques mois de rétention en camp, il voulait quitter la Grèce pour une vie meilleure, me positionner, tu comprends, oui je comprends, me positionner, prêt au départ, les pieds qui volent.

Les ennemis de tes ennemis ne sont pas plus tes amis que les amis de tes ennemis ne sont tes ennemis, question de fond tu n’as que des ennemis, l’orage vient, gronde un peu mais cette couleur spéciale du ciel, jamais vu ça, le nuage a un nom, il vaut mieux se sauver, on prend refuge sous les arcades, le vent violent arrache l’étole qui vole et tombe sur la plage, l’étole reprend sa lévitation puis disparaît dans la brume vaporeuse, blanche, sur laquelle pèse un ciel noir, effrayant.

Où voir venir Par Marie Cosnay
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
LMDA papier n°164
6,50 
LMDA PDF n°164
4,00