Les majorettes défilent, la fanfare claironne, Benjamin-Néon s’époumone et Sarah-Pas-d’Culotte est élue Reine-Merveille. Elle sera donc la prochaine mariée et épousera celui que Sorcière verra dans son miroir. Mais pour le moment, Topaze et Juliette, « deux êtres encore emmaillotés de blanche félicité », préparent leurs fiançailles. Ça chante, ça rigole, les enfants s’amusent et se font peur avec Sorcière. Et Colette traverse la scène à bicyclette : « Bonjour Colette – Colette passe passe passera la dernière restera. » Et puis le marié évoque sa grand-mère : « (…) sa robe de mariée elle se l’ait brodée à même le corps on dit on dit qu’elle était si piquée que mon grand-père en est mort je n’ai jamais connu grand-père a fait la guerre a voyagé a rencontré grand-mère Amélie est mort et enterré mais je sais qu’il te vous aurait plu ».
Avec Le Crachoir, Virginie Barreteau nous entraîne dans une folle sarabande, passant du conte de fées à la chronique villageoise, alternant les faits les plus divers et des scènes intimes, troublantes parfois, entre le Père-Méduse et sa fille Baette. Tout comme les majorettes, les personnages défilent, pittoresques et forts en gueule. La langue est crue, mâchée, arrachée, elle éructe, clame et murmure, dit les choses au plus près et tente de se glisser derrière les apparences. Elle dit un monde qui parle fort, qui bouscule, un monde de proverbes, de rumeurs, de sentences. Un monde qui fut. Un monde de poètes aussi : « Les jupons des mères ont d’autres choses à faire que d’engueuler les fils. » Ce qui n’interdit pas le bon sens : « Regarde moi quand je me suis fait opérer des varices on m’a cisaillé la moitié du genou dix-neuf points de suture alors ça n’est pas possible qu’à l’œil il y ait la place d’en coudre trente/ Dix-sept points de suture. » La pièce, après un bref prologue, commence par le tableau Fiançailles, et se termine par Mariage, mais un mariage très bref car « l’abeille panique et plante son dard dans l’œil du marié trop tard ». Entre les deux, dix-sept petites scènes nous livrent les prières de Sarah-Pas-d’Culotte, les lettres douloureuses de Juliette à Topaze, le quotidien du Père-Méduse et les préparatifs du repas : « Nous engouffrerons / de la grenouille à ce mariage. » Et puis il y aura des morts aussi, et Juliette est enceinte mais ne le gardera pas. Et Sarah prie le ciel et les enfants chantent : « Sorcière Sorcière si j’t’touche j’vais en enfer. » Après un dernier salut à Colette qui traverse encore une fois la scène à bicyclette, la pièce s’interrompt brutalement sur le récit de l’accident survenu aux Mariés : « (…) la voiture s’ébat / Bifurque et se renverse dans la mare / (…) / L’eau s’engouffre à grand bruit dedans/ (…) / Les bouches grandissent puis se rétractent / Grimacent les bouches on les croirait - (Noir) ».
Publiée en même temps que Le Crachoir, Machine est une commande passée récemment à Virginie Barreteau. La pièce met en scène un homme seul qui travaille le jour et dort la nuit. Et puis arrive l’autre qu’il baptise aussitôt Machine pour ne pas changer ses habitudes ou par manque d’imagination. La vie en est transformée. Mais la Direction intervient… Cette fois, l’écriture est très dense, utilise un minimum de mots, tourne sans cesse et repasse par les mêmes figures avant d’infléchir légèrement sa trajectoire : « Seul l’homme court avec le jour / Tout le jour l’homme court et dit sors le jour sors / Mais le jour sort pas quand on dit sors le jour / Sort quand il s’en va. » Ce sera certainement une belle performance de comédien.
Patrick Gay-Bellile
Le Crachoir suivi de Machine
Virginie Barreteau
Quartett, 127 pages, 13 €
Théâtre La fête au village
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Patrick Gay Bellile
Porté par une belle énergie, Le Crachoir de Virginie Barreteau cuisine des tranches de vie dans une langue salée.
Un livre
La fête au village
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.