Georges Perros, un homme en partage
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Thierry Gillybœuf est un traducteur singulier de l’anglais et de l’italien. Il a entrepris, avec une démesure sans doute admirable, la traduction des poésies complètes de Herman Melville et, surtout, du Journal de 6600 pages de Henry David Thoreau (à paraître à partir de 2012 chez Finitude). Mais cela ne l’empêche pas de continuer à escorter Perros, dont il évoqua la silhouette littéraire en 2003. C’est un peu par hasard qu’il en était venu à s’intéresser à lui de si près. Ayant découvert le numéro spécial de la revue Ubacs et surtout les deux tomes des Lettres à Michel Butor, il fut « happé par cette voix ». La rencontre était marquante – car humaine : il était « frappé, séduit par ce ton fraternel et libre ». Le hasard s’en mêlant de nouveau, il visita ensuite une exposition itinérante, organisée par Frédéric Poulot, l’un des deux fils de Perros : manuscrits, lettres, photographies, « cela faisait un tout – qui exerçait sur moi une forme de magnétisme ». Quand Yves Landrein, naguère directeur d’Ubacs et ensuite de La Part commune, lui proposa d’établir et annoter la correspondance de Perros avec Carl Gustaf Bjurström et celle avec Lorand Gaspar, il accepta avec enthousiasme. La biographie suivit, naturellement.
Le lecteur éprouve quelques difficultés à s’imaginer Perros, à la lecture de cet autoportrait mobile que compose son œuvre. Était-il chaleureux ? Loquace ? Mélancolique ?
Je n’ai pas eu la chance de le connaître, mais j’ai celle d’être l’ami de son fils Frédéric, de sa fille Catherine. A travers eux, je peux éventuellement me faire une idée de l’homme qu’était leur père, mais l’exercice a ses limites, et quelle part de mes propres projections comprend-il ? Ce qui me frappe en revanche, c’est que tous ceux qui l’ont connu et que j’ai pu interroger comme ça, au détour d’une conversation, l’évoquent avec une charge d’émotion très intense, très chaleureuse, plus de trente ans après sa mort. Tous donnent le sentiment d’avoir fréquenté un homme rare. Il avait une tendresse débordante et réservée pour les siens, une grande sensibilité à l’amitié, un humour redoutable qu’il exerçait volontiers à ses dépens. Il avait aussi sa part de solitude. D’où son goût des mansardes, des balades à moto. Je pense aussi que c’était un taiseux qui pouvait tout à coup se mettre à beaucoup parler. Quant à la mélancolie (je pense à un vers de lui qui dit « si j’ai l’âme mélicanloque » ou quelque chose comme ça), je crois que c’est plus profond que ça. Cela participe plutôt du taedium vitae des anciens, une acédie qu’il aurait attrapée très jeune.
Comment décrire son rapport aux femmes, à la femme, puis à sa femme ? Son rapport au corps, à son corps, au sexe ?
Question délicate. C’est vrai qu’il est peu question de sexualité dans l’œuvre de Perros. Je me souviens qu’il écrit à Butor, je crois, être allé lire en Belgique le texte d’un film sur la sexualité, et il a cette pirouette humoristique : « J’ai appris beaucoup de...