C’est une figure - de style tout d’abord, mais comme chacune, riche de vérités profondes - dont Marie Cosnay s’empare. Le père est mort, l’ouvrage s’ouvre sur un enterrement - est-ce le sien, ou celui inventé (secrètement espéré) ? Le père - ou plutôt, donc, sa « figure » - est (devrait être) cet absolu : ordre, autorité, interdits édictés, qui s’incarnent aux yeux d’une petite fille, et aussi, celui qui la conduit, la protège, la rassure, l’aide à grandir - tout simplement l’aime. « Si au jour de la mort de mon père j’avais toujours rêvé de connaître l’amour, je suis aujourd’hui bien déçue, il faut me rendre à l’évidence que l’amour il n’y en a pas, pas le moindre signe d’amour, pas un homme purifiant les crues du passé, pas un dont la voix serait étrangère et douce polie comme un galet - les bords émoussés les bords de la voix comme le restant de l’homme émoussé, pas un homme ni un amour. » Parole d’enfant, celle qui reste lovée secrète au plus intime de chacun. Parole triste des chagrins inconsolables, et qu’une voix intérieure parvient pourtant à traverser, la voix de La Langue maternelle, langue des abysses, langue recomposée, musicalité de l’être, langue que l’enfant s’invente pour mieux se materner, se bercer de la douceur absente, « voir par-delà le père, voir dans les flammes orangées » - échapper à l’effondrement.
Une langue « faite de consonnes labiales et pas une voyelle, pas une seule. C’est une langue imprononçable », sortie de la gangue d’une langue paternelle vorace, qui claquemure et violente - l’homme si souvent danger pour Marie Cosnay revient ici sous sa figure d’ogre - homme et père dont la seule langue est celle des « rêves dégradés, l’héritage de la honte, coquille de famille, locutions de famille, paroles et mots de passe de famille, honte de famille ». Murmure et cri tout à la fois, la langue de l’enfant - en apparence aussi absurde et vaine que les « propriétés » de Michaux, et pourtant tout aussi fertile - est la langue unique du poète, et du survivant.
La Langue maternelle de Marie Cosnay
Cheyne éditeur, 76 pages, 15 €
Domaine français Au nom du père
juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115
| par
Lucie Clair
Un livre
Au nom du père
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°115
, juillet 2010.