C’est une œuvre à deux mains, celles de Jérôme Meizoz, écrivain et sociologue, et du peintre Zivo. Dans un atelier à Lausanne, ils ont écrit et dessiné les récits en creux des souvenirs d’enfance du narrateur. Comment parler du moment où la mort a frappé, un jeune frère, puis une mère, comment parler de ces fantômes qui nous habitent ? Dans cette plongée en eaux profondes, Fantômes est une belle réussite littéraire et esthétique. Parce qu’ils se sont rejoints tous deux sur cette frontière trouble de la mémoire des disparus, prêts à exhumer un monde enterré. Zivo n’a pas illustré Fantômes, mais rendu l’esprit de cette œuvre particulière. Ses dessins délicats et denses, sans noirceur, laissent toujours de la place au lecteur pour incarner les personnages.
Après Père et passe consacré à son père vieillissant, Meizoz retourne ici dans son village natal du Valais, où plusieurs générations de sa famille se sont succédé. Le recueil s’ouvre sur un Mardi Gras, où festoient les revenants - « Pour une fois que le village n’avait pas l’air d’une fourmilière abandonnée ! ». Voilà retrouvés le fils perdu, Michel le pêcheur emporté par sa besace trop lourde, et les trois sœurs italiennes mortes de tuberculose, « Tous leurs visages, intacts ! Comme leur forme visible m’avait manqué ! ». La nouvelle « Quatre, cinq, six, sept » exige à elle seule d’ouvrir cet ouvrage. Sans que rien ne soit jamais dit, lors de ce repas familial où l’on attend le retour du frère pour « rejoindre les plats fumants », plane l’ombre de l’irréversible. « (…) nos questions se cognaient à la vitre. Le retour imprévu nous laissait sans voix, on avait lâché nos jouets. » Le texte file comme du sable entre les doigts, ne laissant de tangible dans ce monde où tout s’enfuit, que des êtres trop tôt enlevés. Jérôme Meizoz sait suspendre le temps, ou l’étirer à volonté. Entremêlés aux dessins habités de Zivo, les jetés d’écriture de Meizoz creusent un sillon profond qui « vous entre dans le corps peu à peu ».
fantômes
de jérome meizoz et zivo
Éditions d’en bas, 75 pages, 18 €
Poésie Fantomes
juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Fantomes
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°115
, juillet 2010.