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Traduction Isabelle Gugnon

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Isabelle Gugnon

Histoire secrète du Costaguana, de Juan Gabriel Vásquez

M’apprêtant à me lancer dans ce que je croyais être la dernière relecture d’Histoire secrète du Costaguana, de Juan Gabriel Vásquez, à paraître aux éditions du Seuil en 2010, je fais la singulière et désagréable découverte que ce roman foisonnant - qui traite de l’histoire houleuse de la Colombie, de celle du Panamá, du creusement du canal du même nom mais aussi de l’apparition de l’illustre Conrad au milieu de cette jungle ou dans les brumes londoniennes -, plein d’humour dans la langue espagnole, ne peut rester tel que je l’ai traduit. Pourquoi a-t-il cessé d’être drôle en français ? Vaste problème qui va me demander encore un bon mois de travail et me prouver noir sur blanc que là où il y a des parenthèses rigolotes en espagnol, on donne l’impression de hacher le texte français et donc de mettre les deux pieds dans le plat au lieu de faire un commentaire spirituel. Exit, donc, les parenthèses, et vive les petits mots s’intercalant au milieu d’une phrase pour la rendre coulante et goguenarde, mine de rien. Je remarque que dans certains passages, les parenthèses sont possibles en français et inexistantes en espagnol. J’en rajoute une dose là où je peux et fais du nettoyage là où ça ne passe pas.
L’arrivée des Français dans cette terre à secousses ravagée par de multiples guerres civiles qui, si elles ressemblent parfois à des parodies de conflits, n’en restent pas moins savamment meurtrières, est tour à tour loufoque, alambiquée, mais se solde par des flopées de morts de la fièvre jaune. Pour faire avaler la pilule, Juan Gabriel Vásquez se gausse de la grandiloquence de l’administration en général (française et colombienne), de la plume réfractrice d’un des personnages ou de la folie démesurée des grandeurs des présidents au pouvoir. Il prend le parti de se moquer en usant force majuscules qui sont très amusantes en espagnol, mais tombent complètement à côté de la plaque en français, donnant l’impression de dire au lecteur : « Eh… attention, tu as vu, ce mot, là ? Il est très important, d’ailleurs on y a collé une majuscule ». Le lecteur français, et moi en particulier puisque je suis aux premières loges pour prendre connaissance de la V.F., n’apprécie guère qu’on lui dise ce qu’il a à faire ou à penser. L’humour de l’auteur reste encore une fois lettre morte. Je trie, laisse des majuscules à certains gros mots ou locutions amusantes, fais tabula rasa de toutes les autres, même celles que j’avais cru bon de laisser dans un accès de respect sacro-saint au texte, de littéralité qui, pour finir, le dessert plus qu’autre chose.
Et les images ? Elles sont hilarantes en espagnol, pas toujours en français, à croire que les pisse-froid que nous sommes ont constamment besoin de précisions cartésiennes. On ne trouvera par exemple pas drôle de tendre le bras vers la coque d’un bateau comme s’il s’agissait d’un ânon fraîchement sorti du ventre de sa mère. Non, en français écrit, il faut rappeler la rondeur de la forme de la coque, qui pourrait (éventuellement, et encore ce n’est pas gagné) rappeler le bidon dodu du baudet. Passons sur les images, qui peuvent tout de même parfois rester telles qu’elles, et concentrons-nous sur un mot amplement employé dans ce roman et qui du reste est anglais. Les généraux sortis du champ de bataille ou négociant autour d’une table, les journalistes déçus ou ravis par la construction du canal, les Français débarqués sur ces terres de prime abord enchanteresses pour vite se révéler infernales, tout ce beau monde boit beaucoup de brandy sous les tropiques. Chaque fois que je laisse ce mot en anglais, le correcteur ou la correctrice me tombe dessus. Il faudrait dire « cognac ». Je regarde le texte d’un peu plus près et constate que je l’ai bien souvent traduit par « eau-de-vie ». En effet, pourquoi des soldats, après avoir cheminé et combattu dans des coins reculés où même les plantes locales meurent de froid, iraient-ils boire du cognac ? Le brandy, c’est de l’eau-de-vie, n’importe laquelle. Donc, eau-de-vie en général, sauf pour parler d’un soir de séduction qui se résume à « brandy, banjo, ballade ». Le laisser, c’est plus select, d’autant qu’on sait qu’il est réservé aux officiers et que les simples soldats sirotent jusqu’à plus soif de la vulgaire « chicha » locale sur le sable humide des berges d’un fleuve lointain. Il n’y a qu’un cognac dans tout ce roman où l’eau-de-vie coule à flots, c’est celui que boivent les Français récemment débarqués du fameux Lafayette. Noblesse oblige et à la bonne vôtre, comme pourrait s’exclamer Conrad, bien embêté de se trouver à cours d’argent quand son oncle coupe les cordons de sa bourse, car il n’a plus les moyens de se procurer la vraie, la seule, l’unique vrai cognac charentais charentaise.
Et la relecture de devenir multiple et de moins en moins littérale pour que le texte français puisse dans son ensemble « sonner » comme les pages en espagnol, faire autant rire avec tout autant d’artifices, mais presque toujours différents ou légèrement décalés par rapport à ceux employés par un auteur qui est aussi un traducteur et sait qu’on doit forcément adapter.

* Isabelle Gugnon a traduit entre autres Rodrigo Fresán, Francisco Gonzàlez Ledesma, Carmen Posadas.
Né en 1973 à Bogota, Juan Gabriel Vásquez a déjà publié Les Dénonciateurs (Actes Sud, 2008)

Isabelle Gugnon Par Isabelle Gugnon
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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