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L'Anachronique Encore heureux qu’on va vers l’été

janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99 | par Éric Holder

C’était le beau titre d’un volume de Christiane Rochefort, paru en 1975. J’avais soumis à Christiane, un an plus tard, mon premier manuscrit. Elle était assise ce soir-là sur le canapé familial - une banquette que mon père avait piquée dans une Bentley, puis scellée dans du plâtre, l’époque aimait ces trophées de la lutte anti-bourgeoise.
Christiane avait commencé immédiatement de lire mon roman, en silence, un quart d’heure durant lequel j’avais dansé d’un pied sur l’autre, enfin elle l’avait emporté et promis de le montrer à un éditeur. Une phrase lui avait plu, disait-elle (une seule ! avais-je pensé, dans le même temps que je ne nourrissais aucune illusion, on sait ce que valent les promesses, et bon sang ! ce que certains jeunes gens peuvent être orgueilleux… ) Un mois plus tard, j’avais pourtant reçu un mot d’André Bay, chez Stock, dont le contenu reste pour moi gravé à vie : « Il serait tentant de vous publier. Ce n’est hélas pas possible. Trop jeune ? Trop court ? »
À seize ans, c’est exactement le genre de message qui décide d’une vocation, comme un footballeur en catégorie minimes recevrait une tape affectueuse de Zidane sur l’épaule.
Depuis, je n’avais cessé de faire figurer la mention « Encouragé par Christiane Rochefort… » Son nom était un sésame. Ah, Christiane ! et l’on évoquait Printemps au parking, Les Stances à Sophie. Les années passant, on parut se souvenir de ses œuvres avec plus de difficulté. Il y a peu, j’ai entendu « Christiane qui ? » Il a fallu rappeler l’auteure du Repos du guerrier - un livre qu’elle n’estimait pas, ou plutôt, confiait-elle, qu’elle avait conçu comme un exercice de style, le sien propre ne viendrait que plus tard, un style franc, frais, loin de la pompe et des ors, et dont on ne voit guère que celui de Béatrix Beck pour lui ressembler. Notons que cette dernière, qui vient de disparaître, préférait pareillement à Léon Morin, prêtre, qui avait obtenu le Goncourt en 1952, ses ouvrages postérieurs, dont certains, L’Epouvante l’émerveillement par exemple, rebutèrent des éditeurs. Dans quelques années, combien se rappelleront qu’on ne prononce pas l’ « x » de Béatrix, ainsi que dans « perdrix », et que Stella Corfou, la belle gitane, fut inspirée par Florence Asie, une autre écrivaine ?
Encore heureux qu’on va vers l’été. Saleté d’hiver, va, où tout se dissout, s’enfonce dans la brume, glisse sur les chemins, se décompose sous les fougères anéanties. Les arbres, au jardin, n’exhibent plus que des moignons meurtris par la taille, avec pour seule couleur les lichens opalins courant sur leurs troncs. Le vert du lierre grimpant à l’assaut des vieux murs paraît à distance gluant. Le gris acier de l’océan, à quelques kilomètres, n’évoque plus que des marins péris en mer, on frissonne d’imaginer un plongeon dans l’eau glacée. Sur la province s’étend l’ennui, l’œil chargé d’un pleur involontaire / il rêve d’échafauds en fumant son houka (Baudelaire ). Est-ce plus animé à Poitiers ou bien Nantes ? Non, répondent des amis, car à la longue, on connaît tout le monde. On s’ennuie ensemble, c’est tout (sic). Dans ton bled, au moins, tu n’ennuies personne, puisqu’il n’y a personne.
Une seule échappatoire, en cela imitant la nature : dormir. Dès neuf heures, tu te frottes les mains, réjoui par avance. Au milieu de l’obscurité déjà compacte et pesant sur la terre, la lampe de chevet éclaire en fanal le bateau de ton lit, assez semblable à celui que peignit Luminais pour les Enervés de Jumièges. Avoue qu’au moment d’embarquer comme eux en position couchée, un délicieux frémissement court le long de tes reins.
Ce sont, tout de suite et la plupart du temps, des villes inouïes, des architectures inconnues. J’ai vu une cité troglodyte dont les volets se fermaient automatiquement, aux heures des marées qui la submergeaient. L’hôtel Babylone comptait des milliers de clients. On gagnait sa chambre au moyen d’une échelle pour en ressortir à l’aide d’un toboggan. Partout des foules bigarrées, des interlocuteurs passionnants. Les nuits cosmopolites pallient les jours passés à la campagne en anachorète.
Je garde un excellent souvenir d’un voyage avec De Gaulle en hélicoptère. C’était lui qui pilotait, avec un peu de maladresse, sembla-t-il, puisque nous finîmes au milieu d’une futaie, ce qui ne nous empêcha pas, en attendant les secours, de converser agréablement à propos de Malraux.

Tu as reconnu cette banquette dont le cuir exhalait l’odeur particulière des anciennes voitures. On dirait l’été, par la porte et les fenêtres ouvertes qui donnaient sous une vieille treille. Il n’y a personne ? Si. Un pas menu descend l’escalier. C’est Christiane, inchangée, peut-être même rajeunie, et de revoir son menton tendu vers le haut, parce qu’elle était toute petite, et d’entendre sa voix de tête, légèrement nasillarde, inonde tes joues de larmes.

 Je savais que vous n’étiez pas morte.

 Allons, dit-elle avec gentillesse, tu es un adulte maintenant, les adultes ne pleurent pas…
Elle tapote le dos de ta main.

 Tu continues d’écrire ?

Encore heureux qu’on va vers l’été Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°99 , janvier 2009.
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