Voici quelques lettres, d’une marquise piémontaise à un prince germanique : l’occasion de vérifier qu’en 1695, les cours européennes aimaient à écrire, subjonctif et « aimable époux » mêlés, en joli français. Et que cette langue-là ressemble comme une goutte d’eau claire à celle des romans d’alors. « J’ai une chambre, où j’ai fait mettre vos trois portraits ; je vais cent fois de l’un à l’autre pour les regarder, je leur parle, je les mouille souvent de mes larmes » : car Catherine de Balbian se retrouve enlevée, jetée au couvent, séparée de son Charles de Brandebourg. Quoique bien née, elle l’est bien moins que son mari, et le frère de ce dernier, Frédéric III, bientôt roi de Prusse, entend effacer la mésalliance. C’est triste ? Oui et non. En « prison », Catherine pleure beaucoup, mais au contraire de certaines héroïnes, elle ne perd pas la tête ; elle demande souvent de l’argent et des « pierreries ». Bonne idée, en ce sens, que de conserver le titre lucidement donné à la première édition (1775) du petit recueil : ce sont là des Lettres d’amour et d’affaires… L’imbrication fait souvent sourire, d’autant qu’au fil des jours l’amour se résout parfois aux subordonnées : « ma lettre ne contient que des affaires, quoique je n’en aie point de plus pressantes que celles de mon cœur », « Je vous mande tout ce qu’il faut faire, pour que je sois à vous »… Pauvre Charles, bientôt sommé de prendre un viril envol - « Dites qu’absolument vous ne voulez plus être regardé comme un enfant et que vous voulez être le maître ». Au fil des lettres, les injonctions se multiplient, de sorte qu’il semble se faire de plus en plus petit sur la page. Et puis il disparaîtra, des suites d’une blessure de guerre. Catherine, qui avait vécu tant de « transes mortelles », lui survivra un peu, et convolera même à nouveau, cette fois-là auprès d’un comte saxon. Bel exemple d’énergie.
(Lettres d’amour et d’affaires de Catherine, Comtesse de Salmour Marquise de Balbian, Buchet-Chastel, 144 pages, 13 €)
Histoire littéraire I will survive
octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97
| par
Gilles Magniont
Un livre
I will survive
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°97
, octobre 2008.