Que l’on soit, dans un bourg de la Normandie profonde, la femme d’un médecin, gentillet et un peu idiot, ou, dans une petite ville en bordure de la Vistule, une jeune femme solitaire, modeste professeur de piano, la vie, en ces provinces endormies, est lente - et l’espérance violente ! Que l’atmosphère – dans laquelle on peine à respirer – soit celle d’une France qui s’éveille aux illusions du scientisme conquérant et du capitalisme affriolant, ou celle d’une Pologne résignée sous la coupe d’un communisme imposé d’ailleurs, il suffit d’une amourette (la « romans » du titre original) pour croire que l’existence, enfin, s’emballe, que la danse commence. Kornel Filipowicz (par ailleurs époux de Wislawa Szymborska, prix Nobel, rappelons-le, en 1996) écrit, en 1959, cette longue nouvelle, qu’on pourrait avec profit rapprocher plutôt de Tchekhov ou de Kundera que de Flaubert ou Maupassant. C’est en effet avec délicatesse et une sorte d’humour doux-amer (celui, par exemple, des Risibles amours ou du Livre du rire et de l’oubli - dont les titres conviendraient ici à merveille) que Filipowicz s’attache à suivre son héroïne, Elzbieta. Bien moins follement enthousiaste qu’Emma, ayant remplacé les keepsakes romantiques et les romans à l’eau de rose par Bach et Chopin, c’est en pleine connaissance de cause, entre l’espoir et la résignation anticipée, qu’elle se donnera au poète-conférencier (inquiétant oxymore ?) Milobrzeski, de passage dans cette ville grise et presque désertée. Mais l’amourette fera long feu, il faudra refermer portes et fenêtres, et du piano seul s’évaderont encore parfois des mélodies vivantes…
Romance provinciale de Kornel Filipowicz
Traduit du polonais par Charles Zaremba
Les Allusifs, 97 pages, 13 €
Domaine étranger Un cœur simple ?
mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93
| par
Thierry Cecille
Un livre
Un cœur simple ?
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°93
, mai 2008.