Sur une confidence de la mer grecque (précédé de) Correspondances
Dernier titre paru d’Andrés Sánchez Robayna (né aux Canaries en 1952), Sur une confidence de la mer grecque couronne plus de trente ans d’écriture poétique. Élaboré sous le signe du dialogue, il est composé de deux suites de poèmes qu’accompagnent et que rythment les interventions d’Antoni Tàpies.
Correspondances, la première partie, module, entre méditation, mémoire et sentiment aigu du tragique, un hommage à la beauté des êtres et des choses. Des adieux mais « dans la lumière et dans la force » (Rimbaud). Contre l’adversité et l’expérience de la perte - « Concave, la splendeur/ de l’espace vacant » -, chaque poème contracte l’intime et l’infini, l’espace et le temps, la vie et la mort en une sorte d’étrange évidence muette marquée du filigrane d’une pure présence. Face à la mort qui emporte tout quelque chose néanmoins résiste, qui fait signe, dans l’ardeur solaire, l’impatience d’une main, des fleurs jaunes à une fenêtre, ou « des mouettes dans le vieux cloître : lumière, aile et pierre réunies ».
Comment coïncider en silence avec ce grand réel dont la mer et son infini mouvant est l’emblème ? À l’aide de quels mots saisir la beauté de cette mer originaire, de cette mer grecque dont les rivages virent naître notre civilisation ? Comment cerner ce dénuement qui veut - ou que l’on voudrait - étreindre ? Comment célébrer cette éternité vivante quand on est « moins encore/ que la crête brillante/ de la vague au soleil » ? C’est au cœur de ces interrogations, et au sein de cette lumière charnelle, que s’enfoncent, jusqu’au seuil de « ces choses que nous ne reconnaissons pas/ car ce sont elles qui nous reconnaissent », les poèmes de la suite que forme Sur une confidence de la mer grecque.
Poèmes qui disent une irradiation qui s’obstine, l’éclat à travers lequel se manifeste ce qui est. « Regarde les îles/ de l’aubépine et du figuier,/ incendié, regarde-les qui perdurent/ comme offrande au soleil,/ la durée de la beauté dans le poing solaire/ et la flamme nocturne, la tourmente inférieure,/ qui t’a offert un instant, dans la nudité/ de la terre, cette beauté qui nous détruit ». Une manière d’affronter, en mortel, l’infini réel, ce sacré concret et impassible, ce monde d’avant la séparation du sentant et du senti, cet « Un » qui n’est ni dehors ni dedans et dont Andrés Sánchez Robayna pressent l’harmonie invisible, dans le murmure de la mer. « Tu entends de nouveau la mer, muette, qui t’appelle/ au-delà des pins, de la chaux,/ du mûrier obscur près du mur./ Ecoute ce murmure de la mer, ce que te dit/ le scintillement des eaux calmes ».
Beaux et fragiles tous ces signes où précipite « l’écho de l’Un » sur fond de finitude humaine. Des signes qui trouvent comme naturellement place, aussi bien dans les dessins de Tàpies (traces de ce qui passe, insiste ou s’efface, croix et sillages, empreintes de mains et tracés tactiles), que dans les poèmes d’Andrés Sánchez Robayna dont l’œil ne cesse de quêter « le point incandescent de l’instant qui tourne », avec l’espoir d’y croiser cet autre point depuis lequel ressaisir l’unité d’un univers où rien ne se mesure à l’aune de l’humain.
Sur une
confidence
de la mer grecque
(précédé de)
Correspondances
Andrés SÁnchez Robayna
et Antoni Tàpies
Présenté et traduit de l’espagnol par Jacques Ancet
Gallimard
92 pages, 19,90 €