Ce livre manquait et dix ans après la mort de Nicolas Bouvier L’Oreille du voyageur vient à point nommé rendre hommage à l’écrivain-musicien qu’il fut. « J’adore les mots. Mais le terrain qu’ils couvrent n’est pas le même que celui des sons, et ce territoire me paraît plus exigu. » Doté d’une très solide éducation musicale, Bouvier a très vite perçu la musique comme source de bonheur et de communion immédiate avec le monde et les hommes. Langue universelle, elle sera son sésame et son orient, et c’est à l’oreille qu’il voyagera. La musique donc, ou plutôt toutes les musiques, à commencer par la musique tzigane qui lui met « l’âme à l’envers », et dont il remontera la piste jusqu’au Pamir, une musique à la faconde canaille et au pathos très particulier qu’évoque Laurent Aubert. Mais Nicolas Bouvier aimait autant la musique populaire que la chanson française (Les Frères Jacques, Léo Ferré…), et autant le climat poético-métaphysique du lied romantique, que la musique traditionnelle japonaise ou la musique classique. C’est à Debussy qu’est dédié Le Poisson-Scorpion, un livre écrit et composé comme une partition (qu’analyse Nadine Laporte), le récit d’une déroute et de la dérive à Ceylan, d’un « petit lettré merdeux baisé par les Tropiques », cauchemar équatorial que l’écoute répétée du Quatuor en sol mineur de Debussy a grandement aidé à surmonter. Mais ce sont tous les textes de Bouvier qui font entendre une petite musique tant l’écriture est pour lui agencement musical de formes et de formules. « Tout le problème de l’écriture est là : rendre musical ce qui peut n’être qu’un cri de terreur, rendre léger ce qui était lourd ». Un beau livre, qu’illustrent vingt photos de musiciens signées Nicolas Bouvier et autant de documents tirés de ses archives, et qu’accompagne un CD reproduisant L’Usage de la musique, des entretiens réalisés en 1996 par la Radio Suisse Romande. (L’Oreille du voyageur. Nicolas Bouvier de Genève à Tokyo, préfacé par Hervé Guyader, Zoé, 144 pages, 38 €). R. B.
Essais Voir de toutes ses oreilles
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Richard Blin
Un livre
Voir de toutes ses oreilles
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.