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Avec la langue La sainte trouille

octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87 | par Gilles Magniont

Rentrée des classes : ouvrez vos pages au côté obscur du Grevisse.

Du fait d’une actualité littéraire très chargée, le Matricule n’est pas revenu sur la mort du Cardinal Lustiger. C’est peut-être alors le moment de laisser la parole à Jean Daniel, qui déclare dans le Nouvel Observateur du 9 août 2007 : « J’avais écrit : « Je refuse le judaïsme à cause de l’Élection et le christianisme à cause de la Résurrection ». L’archevêque Jean-Marie Lustiger, qui n’était pas encore cardinal, m’a fait signe. Il avait des réponses aux deux refus. Irais-je le voir à l’archevêché ? Non. Il souhaitait que je le reçusse. » Oui : que je le reçusse. Bon, on ne va pas refaire le coup de l’Almanach Vermot, on ne va pas encore céder à la vulgarité crasse, on sait bien que cette chronique commence à être mal lue, et qu’il est des choses sacrées dont les Gens de Bien ne sauraient rire - mais quand même, ce subjonctif, il fallait oser.
Quelques semaines après l’article de Jean Daniel, et quoiqu’il n’y ait aucun rapport entre les deux, paraissait Le Roi vient quand il veut, qui rassemble une trentaine d’entretiens donnés par Pierre Michon. Des propos intelligents en pagaille, qui laissent à penser que Michon est décidément le meilleur exégète de Michon, et puis aussi quelques curiosités, comme lorsqu’il explique, en 2002, son récent divorce d’avec les subjonctifs imparfaits : « en écrivant Corps du roi, en particulier le dernier texte de ce livre, je ne les emploie plus, non pas que je les répudie, les subjonctifs imparfaits, je les aime d’amour, mais parce qu’il me semble qu’il faut être un peu lu. Or, il y a cent personnes à tout casser que l’emploi du subjonctif imparfait amuse. Les masses en ont une sainte trouille. » De ces quelques mots, plusieurs conséquences à tirer : d’une part, Jean Daniel ne fait pas partie des masses (on le soupçonnait) ; d’autre part, total respect pour le subjonctif imparfait. Conjugaison singulière que celle qui tourne la tête d’un écrivain - on peut l’aimer d’amour -, qui fait hobby pour quelques initiés - on s’en amuse -, et qui, sans se décoiffer ni transpirer, repousse encore la foule d’un geste souverain. Notons quand même qu’il y eut une époque, pas si lointaine, où quelques potaches irresponsables faisaient encore la nique à ce subjonctif. Raymond Queneau créait alors le surjonctif : en redoublant la désinence, cela donne que je reçu-ssu-sse Jean-Marie (qui agrée). Mais ce climat rubrique-à-brac ne semble plus au goût du jour ; un vent glacial souffle désormais sur la langue, le crépuscule se fait sur la conjugaison, le subjonctif imparfait s’habille chez Richard Millet d’une nuisette élégiaque : « On le voit disparaître de la langue comme d’un visage défait les couleurs, ou d’un ciel d’été les nuages qui lui donnaient relief et hauteur »
Pourquoi tant d’égards ? Pourquoi s’extasier de l’emploi de prissions chez Philippe Djian, ou de fisse chez NTM ? Pourquoi une forme grammaticale serait-elle, en elle-même, plus belle qu’une autre ? On avait pourtant, pour reprendre les mots de Roland Barthes, cru s’extirper de la « Littérature qui se voit de loin » ; mais il faut croire qu’on n’avait pas prévu le revival de la Langue qui se vénère depuis les manuels de Grammaire. C’est là que réside la principale vertu du subjonctif imparfait : périlleux à conjuguer, entraînant à sa suite d’obscurs mécanismes, il est censé signaler à nos yeux la difficulté méritoire de l’idiome, la maîtrise acrobatique de la syntaxe, l’épicentre du travail sur la phrase. Un travail, évidemment, ignoré du plus grand nombre : voyez souffrir l’âme du français, voyez son principe sali par des ribambelles d’ignares… Mais manque de chance : il s’avère que la langue classique, agitée tel un épouvantail sacré, n’avait pas encore ce fétichisme de la concordance des temps. « Mon père a consenti que je suive mon choix », écrit Corneille - et non suivisse. Évidemment, ça en jette moins : il souhaitait que je le reçoive, et peut-être Jean Daniel eût-il fermé sa porte.

La sainte trouille Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°87 , octobre 2007.
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