Elle a 4 ans, elle en a 7, 16 ou 25, la voix qui prend parole dans Rideau de verre avec la violence de celles qui se sont trop longtemps tues. Elle dit « elle », puis « je », indifféremment, tant sa propre identité lui échappe, volée dès l’enfance par la maladie du père qui lui a offert une névrose pour seul repère dans la construction de soi. « Elle a subi verte semonce le courroux paternel destructions récursives, je ne m’habituais pas. » Exposée à un trop-plein d’agressivité, de déni et d’indifférence, la petite fille s’enferme dans le silence, s’enferme dans le placard, s’absente d’elle-même pour supporter les brimades. « Je ne bouge pas, reste cloîtrée, tapie au fond de ma tête. » Le mal-être intérieur s’exprime sur son corps, qui transpire de détresse et dénonce à la place de la bouche restée muette. « Sa peau parle trop, c’est aussi ce qui l’énerve. » Réfugiée dans une bulle de verre qui l’isole du monde, en attente d’une délivrance plus vraie que celle apportée par les médicaments, la narratrice sent ses propres mots l’étouffer. « Elle voulait s’exprimer, au conditionnel, comme les petites filles mais qu’est-ce qu’une petite fille ? » Ce premier roman de Claire Fercak est un cri libératoire.
En bienveillantes compagnes, Sylvia Plath, Virginia Woolf et Sarah Kane, sœurs de psychose, guident les premiers pas de l’auteur. Le texte entretient aussi une parenté frappante avec l’écriture de Chloé Delaume dans Le Cri du sablier : le même traumatisme d’enfance, une tragédie familiale que seule l’écriture saura enrayer, les mêmes glissements vers l’alexandrin, rythmes et rimes internes à la phrase, la même « langue ecchymosée », vocabulaire médical d’une conscience qui s’ausculte, en termes ressassés, comptines d’enfance venant percuter les phrases, et cette nécessité d’entrer en lutte avec les séquelles héritées du père « Je dois chercher en moi les mots qu’il a occis ». Précis et puissants, les mots jaillissent dans ce premier texte de Claire Fercak pour lui permettre enfin de naître.
Rideau de verre de Claire Fercak, Verticales, 140 pages, 10,50 €
Domaine français Éclat de voix
septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86
| par
Lise Beninca
Un livre
Éclat de voix
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°86
, septembre 2007.