Il est rare qu’un écrivain s’adonne, seul, au journalisme. Cela arrive parfois et les exemples sont fameux : Daniel Defoe et The Review, Alexandre Dumas et le Monte-Christo, Alphonse Karr et Les Guêpes, Henri de Rochefort et La Lanterne, etc. Gage d’indépendance, cet isolement est souvent le lot de ceux qui souhaitent parler librement de choses qui fâchent. Plus rare encore, on découvre aujourd’hui avec l’édition de Loulou Hebdo, l’hebdomadaire inédit de Maurice Roche, un cas exceptionnel de journal monorédactionnel à usage domestique, et produit à un exemplaire unique… Maurice Roche (1924-1997), on s’en doutait bien un peu, n’a pas fini de nous surprendre. Il faut déclarer d’abord, et nettement, que c’est un authentique document de l’histoire littéraire du siècle dernier que nous apportent les éditions Passage d’encres avec les treize numéros de Loulou Hebdo en fac-similé couleurs. Ce journal, composé tendrement au seul usage de la mère de l’auteur restée à Clermont-Ferrand, à la main, et bricolé parfois en couleur, est bel et bien de prime importance. La preuve, comme l’indique Maurice Roche : « C’est un journal à lire au lit, le soir, bien peinarde. » Alors, bien peinard à la terrasse d’un café, on lit Loulou Hebdo. Et on y apprend mille choses primordiales de Maurice Roche, ce très grand écrivain français du XXe siècle, à commencer par ses sensations, ses impressions, sa vie quotidienne durant quelque treize semaines, ses difficultés, ses écritures et ses travaux nourriciers (collection de disques, rédaction d’argumentaires de pochette, traduction avec sa compagne Violante d’un roman de Jorge Amado, chroniques musicales pour le portugais Diario Lisboa, et sa fiction en cours, publiée en feuilleton, « La Nuit de sable », etc.). C’est « Chaque semaine les détails de l’aigresistence de Mauriçou. » Détails qui montrent, parfois, le plaisir que prenait le tendre Maurice Roche à amuser sa lectrice. " Vendredi 24 avril (1959), Lévi-Alvarez nous a invités à un cocktail d’un de ses poulains : un certain Romano qui a en
Au-delà des avanies de la vie mondaine d’un jeune couple désargenté, on nous met le nez, immense de curiosité, sur ce que pensait Maurice Roche d’Henri Pichette, de leur collaboration, de son attente du fruit des lents travaux d’écriture de son ami Roger Giroux, de ses dîners avec Jean Paris, Édouard Glissant, Jean Laude, un « jeune crétin » nommé J. F., Clarisse Francillon, Nadine Berthier, Marina Scriabine, Matarasso, Maurice Petitpas, François-Régis Bastide (qui perd le manuscrit du Monteverdi de Roche), Romain Weingarten, Camille Bourniquel, alors meneur d’Esprit qui commande à notre auto-reporter un numéro sur la musique contemporaine. Bref, c’est une jolie scène de groupe, un sympathique autoportrait à rebours, un travellingue momentané sur le galop préparatoire de Maurice Roche, homme de cœur et écrivain de talent en devenir, un document exceptionnel d’avant Compact (Le Seuil, 1966). C’est, évidemment, le must du petit lecteur averti que l’on verra cet été sur les plages.
Loulou Hebdo de Maurice Roche - Présentation de Bruno Cany, suivie d’un texte de Jean-Pierre Faye, Passage d’encres, 96 pages, 25 €
Histoire littéraire Mauriçou reporter
juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85
| par
Éric Dussert
Un livre
Mauriçou reporter
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°85
, juillet 2007.