Rarement une si violente extériorisation d’une douleur est intéressante à lire. Mais il s’agit là d’une expression hautement élaborée, non seulement par sa charge émotionnelle, mais surtout par sa facture même. Sur un rythme haletant, ponctué seulement par des inspirations irrégulières, un homme, un père d’un enfant de 21 mois dit, en 1970, ce que fut sa vie pendant « trente-neuf ans et neuf jours », et un jour de plus, puis encore une nuit. L’univers de référence, sans que jamais on puisse parler d’un monde reconstruit à travers une démarche mimétique, est l’élément naturel, biologique : « la cime blanche de la tremblante jeune/ ortie », géologique : « les plaines minces », ou anatomique : « le vase de mon prépuce/ embroussaillé ». Il est le milieu où s’élaborent pensées et transitions, en un enchaînement mû par une logique insolite. Un événement clé : « tu as fait/ l’enfant/ délicat/ qui solitaire se regarde nu dans/ la buée de midi », puis un autre : « elle hurle la chamelle à qui on a/ ôté son fils qui jouait en trottant/ par les/ courtes/ collines » structurent ce flux d’images uniques, sans que jamais la sombre hypothèse qu’ils suggèrent soit explicitée. Car l’écriture de Louis-François Delisse est endiguée par une fonction expressive, et heuristique trouver une forme à l’informe souffrance bien davantage qu’informative. On sent seulement le poids intolérable de la perte : « il eut fallu/ n’avoir jamais rencontré l’homme/ murmure/ l’enfant sylvestre l’enfant loup, ibis,/ œillet, porte du roseau, œil de la/ prairie ». Et on s’achemine dans la peur vers la fin radicale.
De fleur et de corde de Louis-François Delisse
Wigwam, n.p,, 4,60 €
Poésie Le cri de Delisse
novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78
| par
Marta Krol
Le cri de Delisse
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°78
, novembre 2006.