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Domaine français Le chaos en sourdine

mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73 | par Philippe Castells

En une vingtaine de couplets, et une concision d’orfèvre, Stéphane Emond nous livre la légende de ses aïeux stigmatisés par la guerre.

Le titre situe l’action, il définit les personnages et délimite une unité temporelle ; rarement titre n’aura été au plus juste de ce qu’il résume. Et déjà une poésie se dégage dans le choix des mots : un terme vieilli la pastorale est une œuvre littéraire, ou une peinture, dont les protagonistes sont des stéréotypes de berger, presque précieux, ou en tout cas qui décrit un style tombé en quasi-désuétude, qui s’oppose à un terme dont personne ne nie la pérennité, ni la violence. Aussi bien ce titre évoque un champ de bataille qu’un chant de guerre, ou que le théâtre des opérations, mais dans une acception toute bucolique. C’est de cette opposition que naît l’esthétique, pour ne pas dire la beauté, de ces vingt saynètes qui composent ce premier livre, vingt tableaux du pathétique martial, vingt histoires que tout le monde connaît, ici ou ailleurs, que tout le monde croit avoir déjà entendues tellement sont ancrés en nous les mythes du sordide et qui pourtant ici encore nous stupéfient d’effroi.
Qu’il s’agisse de la mort d’un ancien combattant, de la peur d’un soldat dans les tranchées, que Stéphane Emond évoque un déserteur tapi dans la forêt ou une mère qui attend son fils et ce fils mourant, qu’il raconte l’absurdité des accidents qu’un conflit provoque, surenchérissant sur sa propre absurdité, qu’il parle de la guerre, de son pendant ou de son après, de ses dérives, ses tangentes ou de ses conséquences, de chacun de ses textes monte une plainte, comme une mélopée. Il s’agit cependant moins d’un chant que d’un acte de mémoire, de brefs récits qu’on se répète aux veillées, à voix basse, dans le recueillement, la transmission d’une histoire issue d’une tradition orale. Il ne s’agit pas de gloire, il ne s’agit pas de bravoure, aucun des personnages qui trépasse ne meurt aux champs d’honneur, la guerre ne crée pas de héros, elle est, évidemment, le terreau de situations dramatiques, elle fonde la famille sur le malheur. Qu’il soit dit que l’Argonne est la région, la scène de ces narrations, qu’il soit indiqué que la culture familiale de l’auteur est la source de cette inspiration, certes cadre le récit mais si peu. D’ailleurs Stéphane Emond ne donne guère d’indication. Les noms évoqués pourraient être ceux de n’importe quelle campagne, les paysans de même.
La succession de cette vingtaine de relations, toutes d’une belle concision pas une ne fait plus de six pages provoque un effet quasi hypnotique ; on a l’intention de chercher un lien d’une histoire à l’autre que déjà notre attention est sollicitée, captivée par la suivante. Car Emond n’explique pas, il décrit ; pas de réflexion, pas de digression ; au lecteur de déduire, de comprendre. Et quand, à la brièveté s’ajoute une économie de moyen qui tend à l’épure, cette description gagne en intensité, et l’effet final, aussi sobre soit-il, nous percute. Ainsi la conclusion de « Les âmes légères », texte décrivant et l’engagement des volontaires italiens et, après une nuit de veille, la récupération du corps d’un frère qu’on croyait seulement blessé, en creusant une tranchée : « Au loin, par-delà les forêts, il entend la mitraille et le chaos du monde peuplé de ses âmes légères, si légères et si nombreuses, qu’elles font un doux bruissement en volant… »
Et c’est cela encore qui nous bouleverse : que de l’horreur naisse une poésie aussi douce. Pas un mot qui ne soit une délicatesse. Chaque phrase est pesée pour décrire la quiétude des campagnes et nous assène avec une retenue qui fait effet de loupe la monstruosité banale de la guerre. Comme cette grand-mère qui essaie de nourrir sa petite fille, nourrisson mourant de faim, dont la mère fut tuée en fuyant ; trois pages intitulées « Tout est mesure et solitude » qui commence ainsi : « Depuis ce jour dans les campagnes, la vie avait suspendu son vol de grues », se poursuit par : « les renards sont venus manger dans la gamelle du chien. L’odeur de sanglier les rassure » et se conclut d’un serein : « Elle les aurait regardé s’endormir toutes les deux, la petite sur la poitrine et la mère dans cet oubli qui comble. » Que dire de plus ?

Pastorales
de guerre

Stéphane Emond
Le Temps qu’il fait
96 pages, 14

Le chaos en sourdine Par Philippe Castells
Le Matricule des Anges n°73 , mai 2006.
LMDA papier n°73
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