À la parution de son précédent livre, Patrice Robin déclarait (Lmda N°46) : « Graine de chanteur est le tableau de famille, je viens de là. C’est l’origine. Les Muscles est une tentative de rapprochement entre un père et son fils. Matthieu disparaît, lui, traite de l’éloignement. Je viens de commencer le quatrième, l’histoire d’un couple qui se sépare. Les trois prochains traiteront de ce thème : la séparation. Je pense que j’en aurai fini, alors, avec un cycle proche de l’autobiographie. » Bienvenue au paradis est le premier de ces trois livres : l’histoire du couple formé par Moïse et Marie que l’on suivra le temps d’un bref récit, celui d’une émancipation voulue qui se solde par une désagrégation subie.
Rédigeant la fiche biographique que propose le site de son éditeur, l’auteur écrit : « Je grandis dans une famille de petits commerçants sur la « côte ouest », suis bachelier à dix-huit ans et entre à l’usine à vingt. Cette entrée rapide dans le monde du travail parce que je veux être indépendant. Au bout de deux années d’usine, aspirant à une situation plus assise, j’apprends le métier de comptable et le deviens. Dans la grande région parisienne. (…) Je consacre le reste de mon temps au théâtre, découvert au sein d’une troupe amateur. J’écris trois spectacles d’histoires courtes que je joue de 1980 à 1985 dans des petites salles. Puis, faute d’y gagner ma vie et parce que mon goût pour les mots s’est affirmé, j’abandonne le théâtre pour l’écriture seule. » Cet autoportrait dresse plutôt bien le portrait de nôtre Moïse, une part des situations du livre : l’autobiographie se poursuit, par coupes ou cadrages changeants. Ici, la séparation semble marquer l’apparition de Moïse, la prise en main de la voie qui l’appelle l’écriture, quand là la disparition de Matthieu n’excluait pas l’union sentimentale. C’est ainsi. L’écriture de Patrice Robin ressemble parfois au pas de côté d’un danseur.
Bienvenue au paradis emprunte son titre à une chorégraphie créée par Joëlle Bouvier et Régis Obadia, Welcome to paradise. Un duo, un corps à corps, qu’évoque l’auteur en fin de texte. Autour d’un mouvement brusque qui sépare les danseurs, il écrit : « Il était impossible de savoir qui avait lâché qui. » Une phrase qui convient bien pour le roman. Est-ce Marie qui lâche Moïse par ses amours adultères ? Est-ce Moïse qui s’efface de lui-même, pris par un élan que ne partage pas Marie ?
Moïse vient de l’univers modeste de sa famille quand Marie fréquente les « gosses de riches ». Le premier accroc apparent vient de là : le pas de Moïse, comme déplacé, ne s’accordant pas aux roulages de mécanique des huiles amies de sa compagne. Où regarde-t-on, ensemble, quand on est encore trop « de sa famille » ? La photo de mariage, qui fixe les époux et leurs regards au sortir de l’église, semble répondre : ailleurs.
Bienvenue au paradis a la grâce des textes qui savent dire juste ce fragile « toucher » du romancier et juste dire le nécessaire, sans graisse, sans épanchement. Moïse aime à lire Camus. S’il retient le Camus de Noces pour dire la « joie étrange » de l’amour naissant, Patrice Robin, lui, semble garder proche L’Étranger comme garde-fou d’écriture.
Bienvenue
au paradis
Patrice Robin
P.O.L
134 pages, 12 €
Domaine français Qui mène la danse ?
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Pierre Hild
Marie et Moïse sont mariés. Ils ont 20 ans. Le quatrième roman de Patrice Robin évoque leur séparation. À cœur battant et en pas chassés.
Un livre
Qui mène la danse ?
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.