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Domaine français Mascarade conjugale

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Hélène Pelletier

En guise de théâtre verbal, Régis Jauffret, fin stratège, jette sur la rentrée une petite bombe narrative savamment déguisée.

Avec la parution de L’Enfance est un rêve d’enfant (Verticales) l’an dernier, Régis Jauffret déconcertait son lecteur coutumier des détresses violentes de Clémence Picot, d’une troublante et sombre Promenade, ou de la femme multiple du vertigineux Univers, univers en présentant un roman qui, sans être plus inoffensif, s’écoulait plutôt dans l’enfance et l’Histoire. Asiles de fous, fiction numéro treize, et treizième pied de nez à l’autofiction, fait un retour au couple et aux malheurs familiaux d’une manière une fois de plus confondante.
Gisèle, à la maison, attend en vain, et elle le sait, le retour de son compagnon. Nous l’ignorons encore, mais la clé de l’énigme est dès lors révélée : « Damien est absent, je suis là. Puisqu’il ne m’aime plus, je ne l’aime pas. Puisque notre histoire est terminée, c’est qu’elle n’a jamais eu lieu. Elle est à ce point imaginaire, que je vais vous la raconter. » Mais voyons voir.
Issu d’une insupportable famille bourgeoise, Damien Verdery, trop poule mouillée ou enfant gâté pour le faire lui-même, envoie son père annoncer sa rupture à Gisèle. Le beau-père maladroit mais satisfait utilise comme prétexte une petite opération de plomberie pour s’immiscer et tout dire, puis emporter effrontément avec lui divers objets qu’il juge appartenir à la famille. Élaborant un plaidoyer en faveur de cette cassure, il va et vient de la tendresse à la dureté, et cherche à dédramatiser une tragédie qui lui appartient si peu : « Vos larmes ont un goût de pain au chocolat, bientôt vous les regretterez comme les chutes de vélo de votre enfance. » Puis à son tour, la belle-mère Solange s’emparera jalousement de la narration pour donner sa version des faits en assurant dire vrai, et soudainement se ravisera, avouant avoir menti, changera de ton, d’identité dont le passé sera l’infinie variable. Nous sommes en coulisse d’une histoire dans l’histoire, et voyons les acteurs tour à tour troquer leur costume pour un autre et devenir innombrables maîtres du récit. Et puisque tout est mensonge, autant s’amuser, mais en jouant vrai : le comédien portera chacun des masques comme on prendrait avec franchise toute direction possible, et parle si juste que le lecteur y croit, sans être dupe du dispositif puisqu’il est par moments avoué : « Dès le premier jour je l’avais haïe d’un amour fou, je l’aimais avec la haine de ceux qui n’aimeront jamais personne. À moins que je n’invente ces sentiments aujourd’hui. » Le personnage de Damien, à son tour devenu narrateur, fils choyé mais perdu, imbibé d’alcool, délirant et désemparé, nous fait pressentir la supercherie de fond. Il s’adresse au généreux frigo parental en poète fou et/ou ivre mort, nous décrit joliment Gisèle en jeune femme « toujours meurtrie, Gisèle à la joie émouvante, discrète, en pointillé ». Mais surtout, Damien ferait, selon son père, le « parfait héros d’un roman écrit au conditionnel à tire-larigot ». Tout se terminera pourtant sur la tranquillité de Gisèle, qui en voulant s’ « incarner un instant », jettera enfin la lumière sur l’affaire, en se révélant amoureuse « verbale ».
Parfois perçu comme l’auteur dont l’imagination surabonde d’histoires de haines familiales, de drames amoureux ou solitaires, Régis Jauffret ne serait-il pas surtout un éminent spécialiste du tipping point, ou point de basculement, cet instant précis où les choses chavirent, et où, presque paradoxalement, tout alors devient possible ? Cette fraction de seconde charnière sera chez lui le refus amoureux le plus inattendu, une belle échappatoire, ou le geste familial le plus terroriste. Ces inespérés changements de masque en quantité illimitée qu’il donne à lire sont un superbe attentat au destin : « Notre avenir n’est pas tracé, nous nous modifions beaucoup trop, nous sommes chaotiques, et je me dis parfois qu’à notre mort nous laisserons derrière nous la myriade de cadavres de tous ces gens que nous avons été pleinement, mais l’espace d’un instant, d’une semaine, ou de quelques années. » Voilà.

Asiles de fous
Régis Jauffret
Gallimard
211 pages, 16,50

Mascarade conjugale Par Hélène Pelletier
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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